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ses membres, regarda fixement son frère aîné, puis tomba en défaillance. Anepû saisit l’écuelle où était le cœur : Bataou but l’eau, son cœur reprit sa place, et il redevint ce qu’il avait été. Les deux frères s’embrassèrent et se mirent à causer. « Voici, dit Bataou à l’aîné, je vais me changer en un grand taureau qui aura toutes les bonnes marques[1]. Toi, assieds-toi sur mon dos. » Ils vont au lieu où se trouve la femme de Bataou, à la cour du pharaon, qui entre en liesse à la vue du taureau. On se réjouit du miracle dans la terre entière. Le frère aîné retourna dans son bourg avec beaucoup d’or et d’argent et un grand nombre de serviteurs.

Le taureau entra au harem du pharaon, se tint dans l’endroit où se trouvait la princesse, et lui dit : « Vois, je vis en réalité. — Toi, qui donc es-tu ? fit-elle. — Moi, je suis Bataou ; tu avais comploté de faire abattre le cèdre par le pharaon qui occupe ma place près de toi, afin que je ne vécusse plus, et, vois, je vis en réalité, et j’ai forme de taureau. » Puis il sortit du harem, laissant la princesse très effrayée. Sa majesté étant venue passer un heureux jour avec la favorite, elle lui dit : « Jure-moi ; ce que me dira la favorite, je l’exaucerai. » Il l’écouta. « Puissé-je manger le foie du taureau, dit-elle, car il ne sert de rien. » Ce fut une affliction universelle ; le cœur du pharaon en fut malade. On célébra une grande fête en l’honneur du taureau ; mais, comme on regorgeait, il secoua le cou et lança deux gouttes de sang : il en naquit deux perséas de chaque côté de la grande porte du pharaon. On alla le dire à sa majesté ; le pays entier se réjouit à cause d’eux et leur fit des offrandes. Le pharaon sortit de son alcôve de lapis-lazuli, le cou ceint de guirlandes fleuries, et, monté sur son char d’airain, il alla voir les perséas, s’asseoir sous l’un d’eux. La princesse le suivit sur son char à deux chevaux. « Ah ! perfide, dit l’arbre ; je suis Bataou, et je vis… » Quelques jours après, la favorite étant à la table du pharaon : « Jure-moi ! fit-elle ; ce que dira la favorite, je l’exaucerai. » Il l’écouta. Elle dit donc : « Qu’on abatte les deux perséas et qu’on en fasse de bonnes planches. » Sa majesté envoya des ouvriers habiles, on coupa les deux perséas en présence de la royale épouse, la vénérable ; mais un copeau s’envola, entra dans la bouche de la princesse, et elle conçut. Quand elle eut mis au monde un enfant mâle, on l’alla dire à sa majesté, on fit venir des nourrices et des berceuses, et l’on se réjouit dans la terre entière. L’enfant fut élevé au rang de fils royal de Coush et devint héritier présomptif. Le pharaon s’envola vers le ciel. Bataou dit : « Qu’on m’amène les grands conseillers de sa majesté, que je leur révèle tous les faits qui se sont

  1. C’est-à-dire en taureau Apis.