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Étendue dans un fauteuil d’ébène incrusté d’ivoire, elle se fait accommoder et habiller par ses femmes : l’une tord ses noirs cheveux en tresses fines et nombreuses, non sans ajouter quelques fausses nattes ; une autre couvre ses bras, ses chevilles et sa poitrine d’anneaux, de pierreries et d’amulettes ; elle essaie quelques bagues d’or à chatons gravés, choisit les pendans d’oreilles qu’elle portera dans la journée, et, tandis qu’on ouvre les étuis à collyre, qu’on délaie dans les cuillers de toilette les divers ingrédiens employés à teindre les ongles, les sourcils et les cils, elle écoute vaguement, caressée par le souffle des chasse-mouches, une douce musique de luths, de harpes et de flûtes.

La rapide élévation de Joseph sous un roi de sa race, sous un hyksos, sa science merveilleuse d’interprète des songes, les honneurs dont jouit à la cour et dans la « terre entière » le fils aimé de Jacob, tout cela est bien imaginé et, comme on dit, dans la couleur du sujet. Ces hyksos, si maltraités par Manéthon, ont enfin obtenu, eux aussi, une sorte de réhabilitation tardive. Les historiens pour qui les annales de l’humanité ne sont qu’un thème à déclamations sentimentales auront désormais à oublier dix bonnes pages de leur répertoire. Knobel avait déjà noté, en son célèbre commentaire sur la Genèse, que le scribe égyptien devait avoir exagéré la rudesse et la brutalité des envahisseurs ; Mariette et Brugsch n’y contredisent point. Pour barbares, ils l’étaient, ces durs conquérans dans lesquels M. Brugsch voit des « cheiks d’Arabes pasteurs, » hak-sasu. Ce n’est pas une raison pour les accuser sans preuves d’avoir détruit, brûlé, ravagé les monumens indigènes ; ils ont laissé tomber en ruines les temples des dieux étrangers, ils ne les ont pas renversés. Les pharaons vainqueurs ont au contraire martelé les cartouches, brisé les statues, anéanti les édifices des hyksos. L’époque assignée par les traditions d’Éphraïm à la venue de Joseph et de sa famille sur les bords du Nil tombe au temps du roi pasteur Noub, vers 1750 avant notre ère. Le roi Apopi, sous lequel il aurait administré l’Égypte, est sans doute peu antérieur au grand roi Amosis, le pharaon victorieux de la XVIIIe dynastie. Or il est remarquable que les hyksos Noub et Apopi portent sur les monumens des noms et des titres égyptiens. Comme les barbares qui envahirent l’empire romain, comme les rois mérovingiens et carolingiens, les princes sémites s’étaient peu à peu laissé pénétrer par la vieille civilisation des vaincus ; à leur cour d’Avaris, ils avaient certainement des savans, des lettrés, des artistes égyptiens. Ainsi Charlemagne s’entourait dans son palais d’Aix-la-Chapelle de clercs venus d’Irlande et d’Italie.

Les devins et les interprètes de songes comme Joseph faisaient infailliblement fortune en un pays où la plus haute science, je n’ose