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de cette refonte brûlante va sortir un héros. Est-ce trop dire ? Non certes, je suis plutôt en-deçà du vrai. Il ne s’agit pas seulement ici des prouesses du sabre, il s’agit de l’élévation et de la constance du caractère. J’ajoute donc un mot pour être complet : ce qui sortira de cette vie nouvelle où l’appellent les événemens, c’est un héros et un sage.

Il en sortira aussi un loyal témoin des plus grandes choses. Ségur, le fils des vieilles races, retrempé au feu par Napoléon, Napoléon jugé de près par ce compagnon d’armes, dont la droiture est aussi inflexible que le dévoûment est inépuisable, voilà le double intérêt de l’ouvrage récemment publié sous ce titre : Histoire et Mémoires par le général comte de Ségur, de l’Académie française. C’est le monument d’une vie entière mêlée à des événemens épiques, monument construit avec un scrupule religieux, avec des précautions infinies, et qui, assuré d’avance contre tout ce qui aurait pu en altérer les lignes, ne devait être découvert qu’après la mort de l’architecte. Il faut reconnaître pourtant que, si le livre, dans son ensemble, offre un aspect monumental, l’exécution en est défectueuse et confuse. L’auteur y passe trop souvent des mémoires à l’histoire et de l’histoire aux mémoires. Trop souvent aux pages où l’on cherche les détails personnels, les traits familiers, tout ce qui fait vivre une physionomie, on voit reparaître quelque solennel tableau tout à fait inutile dans ce récit, puisque les événemens qu’il retrace ont déjà été racontés ailleurs et que le narrateur n’y ajoute rien. C’est au lecteur d’élaguer bien des choses, s’il veut recueillir les nouveautés précieuses éparses dans ces volumes. Il ne me déplairait pas de remplir cet office. Pour dégager les trésors enfouis sous tant de matériaux, je m’attacherai à la division que je viens d’indiquer. Je montrerai d’abord Philippe de Ségur grandissant auprès de l’empereur ; je l’interrogerai ensuite sur le compte de son maître, et je tâcherai de démêler ce que son témoignage ajoute aux traits déjà consacrés par l’histoire.


I

Au printemps de l’année 1800, le premier consul, songeant aux fils des proscrits de la révolution, avait favorisé l’établissement d’un corps de cavalerie qu’on nommait les hussards volontaires de Bonaparte. Il savait bien d’avance que, parmi les héritiers des anciennes familles, plus d’un jeune désœuvré s’empresserait de répondre à cet appel. Aucun n’y était mieux préparé que le rêveur de Chatenay ; on eût dit que la chose était combinée expressément pour lui. Sur le registre de ces enrôlemens volontaires, le premier nom inscrit fut celui de Philippe de Ségur. Un officier supérieur du temps