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y chante des cantiques, puis paraît sur l’estrade quelque révérend, ami de la maison, ou quelque preacher renommé, souvent encore un enfant harci, qui s’adresse à ses camarades dans une langue mêlée d’argot ou slang : c’est ce discours qui a le plus de succès. Si l’on sait se mettre à leur niveau, animer, égayer la conférence, comme certains lecturers savent si bien le faire, les enfans écoutent avec plaisir, ils chantent encore plus volontiers ; puis, avant d’aller dormir, vont faire de la gymnastique : est-il besoin de dire que c’est ce dernier exercice qui leur plaît le plus ? Ces jours-là, quand un voyageur de passage, accompagné de quelque membre de la Société protectrice, visite la maison, il est rare qu’il échappe au speech sacramentel que doit prononcer tout individu présenté dans une réunion publique. Il a beau arguer de son inexpérience de la parole, voire de sa qualité d’étranger, bon gré, mal gré il faut qu’il s’exécute ; nous n’avons pu nous soustraire nous-même à cette corvée périlleuse dans la visite que nous fîmes au mois de janvier 1869 au logis des News-boys.

A la plupart des logis et des écoles sont annexées une petite bibliothèque et une salle de lecture, entretenues par les dons volontaires de personnes du dehors. Livres et journaux y arrivent en assez grand nombre ; la presse de New-York a toujours mis une certaine émulation dans l’envoi de ces dons gracieux. La Société protectrice a établi en outre, dans différens quartiers, des salons de lecture gratuits pour les hommes et jeunes gens, free reading rooms for young men. On a pensé que c’était là un moyen de les arracher à la vie des buvettes, où ils puisent, de si mauvais exemples. Dans le principe, on leur servait dans ces établissemens, pour une maigre rétribution, du café, du thé, des boissons légères, non capiteuses. Il faut confesser que ces sortes de « bars littéraires » eurent quelque peine à réussir. Le public les appelait ironiquement « le club des buveurs, » et ceux pour qui ils étaient fondés n’osaient plus y entrer. Il fallut y revenir à plusieurs reprises. Une de ces buvettes respectables, qui eut un moment une grande vogue, était alors tenue par un ancien boxeur, un rowdy redouté, qui s’était tout à coup converti, et d’une vie de débauches et de crimes était subitement passé à la vie la plus réglée et la plus pieuse. De telles conversions ne sont pas rares en Amérique ; elles éclatent surtout après les revivals, ces grandes assemblées religieuses où la foi perdue subit comme un réveil. — Aujourd’hui les free reading rooms sont en pleine prospérité ; mais on n’y boit plus que de l’eau. On a renoncé à y servir toute autre boisson innocente, vu l’impossibilité de faire en cela la moindre concurrence aux buvettes. Le monde vient, c’est suffisant. Un bon poêle y est allumé en hiver ; on y joue aux