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donnée en termes aussi solennels, tout cela aurait dû faire concevoir à Napoléon les espérances d’une paix durable. C’était son désir alors, et ce fut son premier sentiment après l’entrevue que nous venons de raconter. En remontant à cheval, il dit à Ségur et à ses compagnons : « Nous allons revoir Paris, la paix est faite. » Cependant, de ce bivouac à Austerlitz, il parut soucieux tout le long du chemin. Ce qu’il venait de voir et d’entendre ne le satisfaisait pas. La défiance s’éveillait dans son esprit, défiance bientôt si vive, si profonde, que des paroles irritées s’échappèrent de ses lèvres. « Il est impossible, disait-il, de se fier à ces promesses-là. On vient de me donner une leçon que je n’oublierai point. A l’avenir, j’aurai toujours quatre cent mille hommes sous les armes. »


III

Quelques mois après, Ségur est en Italie, détaché comme aide-de-camp auprès du roi Joseph, qu’il va aider à la conquête de son royaume. Napoléon, après le traité de Vienne, avait inauguré l’année 1806 à Munich, dans la capitale de ce nouveau roi qu’il venait de créer, hier Maximilien-Joseph IV électeur palatin, désormais Maximilien Ier, roi de Bavière. C’est là que la victoire d’Austerlitz fut l’occasion des fêtes les plus splendides et des plus cordiales réjouissances. Une race énergique et originale, aussi différente alors de l’Autriche que de la Prusse, célébrait avec enthousiasme la reprise de son indépendance. Joséphine, avec toute sa cour, était venue rejoindre Napoléon à Munich ; elle présidait à ces solennités, tandis que l’empereur s’occupait de conclure le mariage de son fils, Eugène de Beauharnais, avec la fille du nouveau roi. Au milieu de ces plaisirs, Ségur, déjà reposé d’Ulm et d’Austerlitz par son séjour à Schoenbrunn, ennuyé d’un service de garnison dans un palais, curieux de voir Naples et l’Italie méridionale, avait demandé un emploi dans l’expédition de Joseph. Il l’avait obtenu, non sans peine, car déjà Napoléon n’aimait pas à se séparer de lui, et le 15 janvier il avait quitté l’empereur à Munich.

Ici les Mémoires de Ségur ajoutent aux confidences du soldat les enthousiasmes du lettré. Rome, Naples, la Grande-Grèce, le pays de l’Énéide, la terre de Virgile, que de merveilles, que d’enchantemens pour un esprit qui a gardé le culte de la pensée et de l’art ! Au milieu des marches militaires, sur la route de Rome à Naples, sur les côtes de la Calabre, aucune observation ne lui échappe, aucun souvenir ne le laisse indifférent. Il avait sa petite bibliothèque de campagne, on pense bien qu’Homère et Virgile faisaient partie de son bagage. Un jour, il est envoyé en mission sur les côtes à l’extrémité de la péninsule pour y étudier les moyens de faire passer l’armée