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prétendu être l’inventeur du flottage en train. Cette renommée est usurpée, paraît-il ; Rouvet eut du moins le mérite d’organiser le premier le flottage sur les rivières du Nivernais, de façon que les produits forestiers de ce pays, qui précédemment se perdaient sans doute faute de débouchés, eussent à l’avenir un écoulement régulier. Un train de bois de chauffage ou de charpente flotte dans 50 ou 60 centimètres d’eau ; mais, comme l’Yonne ne conserve pas partout et en toute saison cette profondeur, il fallait encore quelques artifices pour assurer la marche de cette navigation primitive.

Il existait de temps immémorial sur l’Yonne, de même que sur toutes les autres rivières, des barrages construits en travers du lit par les propriétaires de moulins, qui ménageaient de cette façon à leurs roues hydrauliques une hauteur de chute à peu près constante. C’était une gêne pour les mariniers, bien que l’ordonnance de 1415, dont il a été déjà parlé, eût prescrit aux usiniers de réserver dans chaque barrage un pertuis de largeur convenable pour le passage des bateaux. On eut l’idée de faire ouvrir ces pertuis à jour et à heure fixes, et d’en établir de pareils sur les principaux affluens, le Beuvron, la Cure, l’Armançon. Le résultat fut que, les pertuis étant fermés, la rivière et ses affluens débitaient moins d’eau qu’en temps ordinaire, et qu’au moment de l’ouverture il s’y produisait une crue artificielle, un flot ou éclusée, — c’est le terme employé, — qui relevait pour quelques heures la hauteur du mouillage. Trains de bois et bateaux se mettaient alors dans le courant et descendaient en cinquante-deux heures, sans travail ni fatigue, les 197 kilomètres de Clamecy à Montereau. Cette navigation intermittente avait lieu deux ou trois fois par semaine pendant la saison où les eaux étaient naturellement basses. Elle n’était pas sans danger, car tout bateau qui restait en retard du flot n’avait d’autre ressource que de s’échouer jusqu’à l’arrivée du flot suivant. C’était aussi une gêne de plus pour les bateaux remontans, qui trouvaient un mouillage affaibli pendant les affameurs à la suite de chaque éclusée, et couraient le risque d’être chavirés par le flot descendant. Néanmoins, comme le commerce n’avait à faire remonter que des bateaux vides ou sous une faible charge, la navigation par éclusée rendit d’immenses services, et contribua puissamment pendant deux ou trois cents ans à l’approvisionnement de Paris.

Un moyen bien simple se présentait d’améliorer ce système, c’était de créer de vastes réservoirs près des sources du Morvan, de les remplir à l’époque des pluies abondantes, et d’en laisser écouler le contenu lorsque la rivière serait en étiage. C’était en outre, se disait-on, une façon d’emmagasiner l’excédant des crues naturelles