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FLAMARANDE.

crut que je lui reprochais de s’être assis sur cette paille et se leva en disant : — Je ne fais point de mal.

Je lui tendis la main, je savais qu’il n’aimait pas à être embrassé, et j’obtenais de lui de temps en temps qu’il plaçât sa petite main dans la mienne. Il n’était point démonstratif et ne caressait personne au monde que la petite Charlotte, ma filleule, sur les genoux de sa mère.

Quand tout fut déballé, le roulier qui avait amené ces tombes et que je n’avais pas songé à regarder vint à moi et me dit avec une voix qui me fit tressaillir : — Eh bien ! monsieur Charles, êtes-vous content de moi ? N’ai-je rien cassé en route ?

— Ambroise Yvoine ! m’écriai-je en levant la tête, comment, c’est vous ?..

— C’est moi qui ai pris ce chargement à Sévines, chez M. le comte. Il ne m’a pas reconnu, mais j’ai vu avec plaisir qu’il se portait assez bien.

— Mais comment diable étiez-vous à Sévines ?

— J’étais à Orléans, employé comme homme de peine à la compagnie du roulage. On m’a choisi pour accompagner le roulier, parce que justement je revenais au pays, et il va venir vous présenter sa note.

— C’est bien ; mais vous ne me dites pas comment vous aviez été si loin chercher de l’ouvrage, quand vous parliez de laisser là les aventures et de vous installer à Flamarande.

— J’avais été là parce que j’y ai un frère établi, qui demandait depuis longtemps à me voir. Me voilà revenu, et je m’installe ici, c’est décidé. Je ne suis plus roulier, je ne suis plus braconnier, je ne suis plus maquignon ; me voilà architecte ; puisque j’ai promis de réparer les mâchicoulis, je tiendrai parole.

— Vous les réparerez, Ambroise, mais vous serez payé. J’ai parlé de cela à M. le comte ; il m’a donné carte blanche. Dès que la chapelle sera entièrement remise en bon état, je ferai refaire le couronnement de la tour, et vous y travaillerez.

— Comme journalier ? Non, merci, ce n’est pas là mon affaire. J’aime à diriger les autres, et je m’y entends ; mais, puisque vous êtes chargé de cela, je deviens inutile.

— Oh ! moi, je n’y entends rien ; vous dirigerez, Yvoine, et nous allons en causer en déjeunant ensemble.

Je le pris sous le bras, et, en le conduisant au pavillon où je prenais les repas avec la famille, je lui demandai ce qui se passait à Sévines.

— Rien que je sache mieux que vous, répondit-il, car j’y ai pris mon chargement le lendemain du jour où vous avez quitté le château.