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ont célébrés. Il en est plusieurs, poètes ou hommes d’état, qui, ne pouvant s’arracher à un pareil spectacle, ont changé de patrie et daté leurs œuvres de quelque villa des bords de la Méditerranée ou des rives de l’Arno. Sur tous, la fascination est extrême, et, quand on veut la traduire, on n’échappe que difficilement aux lieux-communs et à l’expression toute faite. Que de volumes cette pauvre Italie, qui n’en peut mais, n’a-t-elle pas dictés aux étrangers et aux Anglais en particulier depuis le commencement de ce siècle ! Que de descriptions toujours les mêmes, que de points d’admiration à propos des mêmes sites, des mêmes palais et des mêmes statues, que de romans et que de banalités ! Dickens sembla d’abord se soustraire à la contagion. Le ciel ne lui parut pas aussi bleu que la légende le prétendait, ni les paysannes aussi jolies; mais, le temps ayant changé, il céda à l’entraînement général et joignit sa voix au chœur universel. On le vit, lui dont le bagage classique était si léger, parcourir les lieux célèbres avec un Juvénal dans sa poche, déclarer que Venise était la merveille du monde, s’intéresser au chant de la cigale et faire de longues enquêtes sur les maisons religieuses. Cependant quelques fausses notes lui échappaient encore. Ainsi la Méditerranée avec son silence lui donnait, rapprochement assez imprévu, l’idée du Styx, et les tableaux qu’il avait vus reproduits par la gravure ne faisaient pas sur lui l’impression qu’il en attendait : l’esprit d’indépendance et d’erreur perçait toujours par quelque bout. Aussi s’étant mis un matin à sa table de travail dans le palais Peschiere qu’il avait loué, et, cherchant un sujet de conte, il ne pensa même pas à le demander à ce qui l’entourait, comme tout autre aurait fait à sa place. Gênes étalait à ses pieds ses marbres et ses fontaines, et le son des cloches montait de tous ses couvens; ce fut au vieux beffroi de Londres qu’il songea, et au pont de Waterloo et à la neige de Noël. Il vit les pauvres et les affamés jeter des regards avides sur les vitres éclairées par les flammes du plum-pudding embrasé, et il se résolut, comme il disait, à frapper un coup pour ses cliens. De là son Carillon de Noël, qui n’a rien d’italien. Quand il l’eut fini, il n’y tint plus. Il avait soif des rues et des foules de Londres, et se mit en route tout seul. Il passa le Simplon et vint (c’était le prétexte du voyage) lire à quelques amis réunis chez M. Forster l’histoire de Trotty Veck et de ce que lui disaient les cloches. Il y avait là un auditoire nombreux et choisi. Le succès du lecteur fut grand, et plusieurs pleuraient en écoutant cette voix qui ignorait encore un pouvoir dont elle ne devait tirer parti que longtemps après. Dickens alla finir l’hiver à Gênes, visita rapidement l’Italie, et l’été de 1845 le retrouva dans sa maison de Devonshire-Terrace.