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IV.

La seconde partie de la vie du romancier n’offre peut-être pas un intérêt égal à celui que fait naître la première. Elle est plus agitée, mais elle ne fournit guère, sauf vers la fin, que la répétition de voyages, de scènes et d’occupations semblables. Des voyages de Dickens, il y a peu de chose à dire ici: ils devinrent plus fréquens à mesure que s’augmentait en lui le besoin de mouvement qui l’avait toujours plus ou moins tourmenté. Il allait revoir la Suisse et l’Italie pour y retrouver la fraîcheur de ses premières impressions; mais c’était surtout du côté de la France qu’il aimait à s’échapper. Il s’était mis au fait de notre littérature, avait lu Voltaire et les écrivains de notre temps, dont quelques-uns étaient même devenus ses amis. Au besoin, il savait tourner une lettre en français, avec moins de correction cependant que M. Forster ne semble croire, si l’on en juge par les échantillons assez comiques qu’il en donne. Enfin il se plaisait à Paris plus qu’il n’avait fait la première fois, choyé qu’il était par les plus grands. Pour ne parler que des morts, Ary Scheffer faisait son portrait, et Lamartine voulait le voir comme un des « grands amis de son imagination. » Ce fut dans un dîner qu’il rencontra l’auteur des Méditations. « Je l’ai trouvé, écrivait Dickens, plein de franchise et sans affectation. Il fit savoir à la compagnie présente à table qu’il avait rarement rencontré un étranger parlant le français avec autant de facilité que votre inimitable correspondant, et là-dessus ce même correspondant rougit modestement et presque aussitôt faillit s’étouffer avec un os de poulet qui lui reste encore dans le gosier. » Il dînait chez Scribe et y rencontrait Auber, fréquentait les théâtres, applaudissait tour à tour le Médecin des enfans ou les Mémoires du Diable ; les fêtes populaires de l’empire le ravissaient d’admiration, ce qui ne l’empêchait pas de remarquer que l’on ne mettait pas beaucoup d’empressement à saluer l’empereur quand il passait. Quelquefois aussi, quand il voulait travailler, il s’arrêtait à Boulogne-sur-Mer. Il a passé trois étés dans cette riante et pittoresque cité, où il se croyait encore en Angleterre. Il y a même composé la fin des Temps difficiles, un des récits les plus poignans qui soient partis de sa plume.

Cependant, en quelque endroit qu’il se trouvât, il n’y restait pas longtemps. En effet, il en était venu peu à peu à ne plus pouvoir résister au désir de changement qui le possédait. C’est le point douloureux et singulier que M. Forster a traité délicatement et qu’on ne peut passer sous silence, car il explique la fin tourmentée d’une vie qui, malgré ses brillans dehors, ne se suffisait plus à elle-même. « C’est une chose étrange, écrivait Dickens en 1857, de n’être jamais en repos,