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et jamais depuis je ne me suis relâché. Dans quelque position que ce soit, ne tirez jamais bassement parti de l’avantage que vous pouvez avoir sur les autres et ne soyez jamais dur pour ceux qui vous sont soumis. Essayez de faire aux autres comme vous voudriez qu’ils vous fissent, et ne vous découragez pas, s’ils y manquent quelquefois. Mieux vaut pour vous les voir faillir à la plus grande des règles posées par notre Sauveur que d’y faillir vous-même. Je mets un Nouveau-Testament parmi vos livres, et je le fais avec les mêmes intentions et les mêmes espérances qui m’engageaient à écrire pour vous, quand vous étiez petit enfant, un résumé simple de ce livre ; c’est le meilleur que le monde ait jamais connu ou connaîtra jamais. À mesure que vos frères s’en sont allés, l’un après l’autre, je leur ai écrit ce que je vous écris maintenant, les suppliant de se conduire d’après ce livre sans tenir compte des interprétations et des inventions de l’homme… Gardez toujours l’habitude salutaire de faire votre prière soir et matin. Je n’y ai jamais manqué moi-même, et je sais la consolation qu’on y trouve. J’espère que vous pourrez toujours dans le reste de votre vie dire que vous avez eu un bon père. La meilleure manière de lui montrer votre affection et de le rendre heureux, c’est de faire votre devoir. »

Le caractère sérieux de l’homme et de la race reparaît dans ces lignes si graves, si fermes et si nobles, où l’on devine l’accent d’un adieu qui devait être le dernier. En effet, les mauvais symptômes se renouvelaient. Dickens avait voulu prendre congé de ses auditeurs par une dernière série de lectures, et l’effort lui avait coûté beaucoup, quoique jamais il n’eût mieux lu. De fréquens vertiges le tourmentaient, la paralysie reprenait son pied. Ce fut à la suite d’une de ces attaques qu’il rentra à Gadshill. Un soir, après avoir écrit, il venait de se mettre à table pour dîner et disait à sa belle-sœur qu’il se sentait très souffrant, lorsque, voulant se lever et gagner un sofa, il tomba lourdement sur le côté gauche, murmura ces mots : « par terre, » et ne reprit plus connaissance. Il mourut le lendemain 9 juin 1870, ayant dépassé de quatre mois sa cinquante-huitième année. Sur tous les points du globe où on parle anglais, le télégraphe annonça que l’écrivain populaire n’était plus, et dans toutes les chaires où on prêche en anglais son nom fut prononcé dans le sermon du dimanche. Et lorsque le doyen de Westminster, le docteur Stanley, prenant pour texte de son discours la parabole de Lazare, parla en termes poétiques et simples du romancier dont le génie avait sans cesse rappelé au riche la présence de Lazare à sa porte, bien des yeux se mouillèrent en regardant la pierre étroite sous laquelle Charles Dickens repose, entre le monument de Chaucer et celui de Shakspeare.

Il y a toujours quelque impertinence à traiter le génie comme