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FLAMARANDE.

dame, qui les avait suivis, dans un bois des environs qu’on appelle depuis ce temps-là le bois Gaston.

La levrette ne rentra pas ; elle abandonna ses petits et nourrit l’enfant, et un beau jour on le vit revenir au château, tout grand et tout fort, mais d’un air si sauvage qu’on en eut peur. Il ne parlait point et ne put dire qui il était. Personne ne s’en douta. On voulait le chasser. La dame de Flamarande seule en eut pitié et commanda qu’on lui donnât du pain et des habits. Elle obtint de son mari qu’on lui ferait garder les vaches, et du chapelain qu’on lui apprendrait à parler et à connaître le bon Dieu. Et plus tard, devenu chef des vacheries de Flamarande, il fut grand homme de bien, et mourut comme un saint, sans jamais avoir connu sa seigneurie ni songé à la réclamer.

— Et voilà tout ? Comment a-t-on fait pour savoir que cet enfant, nourri dans les bois, était un Manclaille ?

— Il n’était pas un Mandaille. Quand il fut mort, comme on le mettait dans la bière, on trouva sur lui une relique que sa mère lui avait mise au cou le jour de sa naissance. Elle pleura de n’avoir pu reconnaître son fils qu’après la mort, et jura à son mari qu’il lui avait fait insulte, car elle n’avait point aimé le sire de Manclaille. Alors le sire de Flamarande voulut renouveler sur le mort l’épreuve qu’il avait faite sur le naissant. Il lui mit le crucifix sur la poitrine et appela par trois fois Manclaille sans que rien ne bougeât ; mais quand il appela Flamarande, Flamarande, Flamarande, à la première fois le mort ouvrit les yeux, à la seconde il regarda son père d’un air de reproche, à la troisième il sourit en manière de pardon ; puis il referma les yeux et jamais plus ne les rouvrit. Alors le sire de Flamarande pleura, lui fit dire beaucoup de messes et le fit enterrer dans la chapelle du château, où vous trouverez sa pierre dans un coin avec une épée en signe de sa noblesse et une houlette en mémoire de son état de berger.

— J’ai vu en effet cette pierre. Michelin n’a pas pu m’expliquer ce que signifiait la houlette.

— Ah ! c’est que Michelin est dans les jeunes, qui sont instruits et ne croient plus à ces histoires-là ; mais son père la connaissait bien, et il l’a racontée à M. de Flamarande, votre maître. Il la lui a racontée devant moi le soir du jour où j’ai conduit M. le comte à la chasse.

— Ah ! vraiment ! devant M’ne la comtesse par conséquent ?

— Non, elle n’était pas là, mais M. de Salcède y était.

— Et ils ont trouvé l’histoire ?..

— Très belle.

— Et vous, Yvoine ? y croyez-vous ?