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son nom dans le canon sacré à côté de ceux d’Isaïe, de Jérémie, de Zacharie. Que firent les ardens promoteurs du mouvement qui entraînait la nation vers une destinée purement théocratique? Ils se mirent sous le couvert d’anciennes célébrités, firent parler des personnages illustres, et prêtèrent à des hommes des siècles passés dont l’autorité était reconnue des livres contenant l’expression de leurs passions et de leurs espérances toutes modernes. Ces espérances étaient sans bornes. L’idéal messianique, l’espoir d’une grande revanche où Israël persécuté de tous aurait enfin son tour, prenaient des formes de plus en plus arrêtées. « Le jour de Jéhovah, » jour de vengeance où Dieu ferait triompher la justice si souvent outragée, n’était plus ce qu’il était pour les anciens prophètes, la simple Providence divine se mêlant aux choses humaines, et y signalant son apparition par des révolutions, des coups subits, des fléaux. Le jour de Jéhovah devenait une apparition dans le ciel à grand triomphe, un renouvellement complet du monde, un règne surnaturel où Israël jugerait la terre et la gouvernerait avec une verge de fer.

Telle fut l’origine des apocalypses. Vers l’an 165 avant Jésus-Christ, un illustre inconnu inaugura ce genre nouveau de prophétisme avec un rare succès. Il choisit pour auteur supposé de son livre Daniel, personnage probablement fictif que depuis fort longtemps[1] on regardait comme le type de l’Israélite persévérant dans sa foi au milieu des gentils. Son livre, plein d’images et de hardiesse, servit de modèle à toute une série d’écrits qui s’échelonnent sur un espace de trois cents ou quatre cents ans, et représentent, soit au sein du judaïsme, soit au sein de l’église chrétienne, la dernière manifestation du génie prophétique d’Israël. Les livres d’Hénoch, l’Assomption de Moïse, furent peu avant Jésus-Christ des apparitions du même ordre. A Alexandrie, où l’on voulait frapper la population païenne, ce fut sous forme d’écrits attribués aux sibylles que les exaltés cherchèrent à exprimer leurs rêves d’avenir. Le public auquel de pareils livres s’adressaient manquait complètement de critique; aucune objection ne s’élevait chez le lecteur contre des faux évidens. Quant à l’auteur, la persuasion de servir une bonne cause suffisait pour faire taire ses scrupules. Le lendemain de leur apparition, ces sortes de livres apocryphes étaient adoptés et cités comme s’ils eussent été les œuvres des personnages souvent fabuleux à qui on les attribuait.

De même que l’ancien prophétisme avait été le berceau de la religion juive, de même le nouveau prophétisme fut l’ardent foyer où

  1. Ézéchiel, XIV, 14, 20; XXVIII, 3.