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pour qu’il soit inexcusable au jour du jugement et qu’il n’ait rien à répondre.

L’auteur s’enfonce de plus en plus dans les questions bizarres que soulèvent ces dogmes redoutables. Est-ce dès le moment où l’on a rendu le dernier soupir qu’on est damné et torturé, ou bien s’écoule-t-il un intervalle durant lequel on est gardé en repos jusqu’au jugement? Selon Pseudo-Esdras, le sort de chacun est fixé à sa mort. Les méchans, exclus des dépôts d’âmes, sont à l’état d’esprits errans, tourmentés provisoirement de sept supplices, dont les deux principaux sont de voir le bonheur dont on jouit dans l’asile des âmes justes, et d’assister aux préparatifs du supplice qui leur est destiné. Les justes, gardés dans les dépôts par des anges, jouissent de sept joies, dont la plus sensible est de voir les angoisses des méchans et les supplices qui les attendent. L’âme, au fond miséricordieuse, de l’auteur proteste contre les monstruosités de sa théologie. « Les justes du moins, demande Esdras, ne pourront-ils pas prier pour les damnés, le fils pour son père, le frère pour son frère, l’ami pour son ami? » La réponse est terrible. « De même que, dans la vie présente, le père ne saurait donner procuration à son fils, le fils à son père, le maître à son esclave, l’ami à son ami, pour être malade, pour dormir, pour manger, pour être guéri à sa place, de même ce jour-là personne ne pourra intervenir pour un autre, chacun portera sa propre justice ou sa propre injustice. » Esdras objecte en vain à Uriel les exemples d’Abraham et d’autres saints personnages qui ont prié pour leurs frères. Le jour du jugement inaugurera un état définitif où le triomphe de la justice sera tel que le juste lui-même ne pourra avoir pitié du damné. Certes nous sommes avec l’auteur quand il s’écrie après ces réponses, censées divines:

« Je l’ai déjà dit, et je le dirai encore, mieux eût valu pour nous qu’Adam n’eût point été créé sur la terre. Du moins, après l’y avoir placé, Dieu devait-il l’empêcher de pécher. Quel avantage y a-t-il pour l’homme à passer sa vie dans la tristesse et la misère, sans attendre après sa mort autre chose que des supplices et des tourmens? O Adam, quelle a été l’énormité de ton crime! En péchant, tu t’es perdu toi-même, et tu as entraîné dans ta chute tous les hommes dont tu étais le père. Et que nous sert l’immortalité, si nous avons fait des œuvres de mort? »

On aperçoit maintenant le motif pour lequel le passage qui contient ces doctrines sévères a été supprimé dans le manuscrit de la traduction latine d’où sont provenues toutes les copies que l’on possède, excepté celle qu’a découverte M. Bensly. Le moyen âge tenait beaucoup à la prière pour les morts : or le passage dont il s’agit en