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l’alimentation des habitans, est assez abondant dans les bonnes années pour approvisionner les marchés d’une partie de la Perse. Toutes les variétés de fruits, pommes, poires, prunes, raisins, cerises, nèfles, amandes, pistaches, grenades même, poussent à profusion dans le Ghilan. La viande y est d’un bon marché invraisemblable. Le batman[1] de mouton vaut d’ordinaire à Recht de 25 à 30 sous, le batman de bœuf de 1 franc à 1 franc 25 centimes. Le prix d’un poulet varie entre 20 et 30 centimes. Le gibier est moins cher encore. Un canard sauvage se vend de 2 à 4 sous sans les plumes, une bécasse 10 sous, un faisan 15, un lièvre de 15 à 20. Quant au sanglier, sa chair étant délaissée par les indigènes comme impure, il ne coûte guère que le prix du transport, mais le préjugé qui s’attache à ce genre de souillure est tel que les porteurs sont souvent introuvables.

Les plus belles médailles ont leur revers. Cette merveilleuse abondance que lui assure l’action fertilisante de son climat, Recht l’expie cruellement. Des pluies torrentielles en hiver, des chaleurs tropicales en été, des fièvres paludéennes en toute saison, en rendent le séjour des plus malsains. Les puces et les moustiques de Recht sont célèbres à 20 lieues à la ronde. Le badi-gherm (vent chaud), sorte de sirocco qui ne le cède en rien à celui du Sahara, en fait à des époques périodiques un vestibule de l’enfer.


II.

Il n’y a pas d’hôtels proprement dits en Perse. Les indigènes logent dans des caravansérails, où ils paient de quelques chais[2] le droit de se mettre à couvert du soleil ou de la pluie et de coucher pêle-mêle sur un débris de natte. Les rares touristes européens, de passage à Recht, qu’effraierait cette simplicité par trop patriarcale n’ont qu’à aller frapper à la porte du consulat de Russie[3]; elle leur sera ouverte à deux battans, et le jour du départ leur hôte trouvera moyen de leur persuader qu’il est leur obligé. Je l’ai pris en flagrant délit.

Le désir de ne point abuser d’une hospitalité si généreusement offerte nous fit dès notre arrivée nous enquérir des moyens de poursuivre notre route. Il y a deux façons de voyager en Perse : en courrier ou, pour parler la langue du pays, en tchapar, — et en caravane. Des relais sont échelonnés de 8 en 10 lieues sur tout le

  1. On compte environ 3 kilogrammes pour un batman.
  2. Le chai équivaut à peu près à 1 sou de notre monnaie.
  3. Il n’y a plus de consul de France à Recht, le titulaire remplissant actuellement les fonctions de secrétaire-interprète à la légation de Téhéran.