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d’eau que le ciel lui refuse presque toujours, elle donne des preuves de fécondité; mais l’eau se dérobe à mesure qu’on la poursuit : ce n’est pas assez d’aller chaque année la chercher sous terre, il faut encore l’amener par des conduits invisibles jusqu’aux champs qu’elle doit arroser. La plaine de Cazbin, pour ne citer qu’un exemple, est minée en tout sens par ces tunnels creusés à une profondeur moyenne de huit à dix pieds et dont la longueur totale atteint souvent plusieurs kilomètres. Grâce à cette irrigation souterraine, qui entretient aux alentours une humidité constante, la terre se couvre d’arbres et de fruits; mais cette fertilité factice cesse avec les canaux qui l’alimentent. Si on en excepte les provinces voisines de la Caspienne et quelques parties de l’Aderbeidjan, on peut dire que la Perse est un désert cultivable, où le travail de l’homme, venant en aide à l’insuffisance des pluies, crée d’année en année un nombre plus ou moins grand d’oasis.

Ajoutons qu’il a dû en être de même de tout temps. Les restes d’anciens canaux, qu’on trouve un peu partout dans l’Iran, témoignent des efforts constans tentés par les propriétaires d’autrefois pour vaincre l’aridité du sol. Quelle qu’ait pu être alors la victoire de l’homme sur la nature, il est permis de croire que l’aspect général du pays ne différait pas essentiellement de ce qu’il est aujourd’hui. A aucune époque, l’Orient ne s’est piqué de beaucoup d’exactitude dans ses peintures; l’hyperbole y est comme un fruit du terroir. En fait de descriptions, l’antiquité classique n’a guère mis plus de mesure dans son style que les conteurs arabes. Sous le pinceau de la poésie grecque, le moindre ruisseau bourbeux devient un fleuve plus limpide que le cristal, quelques oliviers poudreux se transforment en un temple de verdure où l’odieuse crécelle des cigales emprunte au rossignol ses notes les plus suaves. Ce qu’est en réalité l’Attique dépouillée de ce charmant travesti, l’Ilissus et la plaine d’Athènes le disent chaque année aux touristes qui ont des yeux pour voir. A une époque où les maîtres en l’art d’écrire tenaient à honneur de traiter l’histoire comme une matière de rhétorique, les historiens n’ont pas dû se faire faute d’imiter les poètes. Dût-on prendre au pied de la lettre la pompe des anciens souverains persans, rien n’autoriserait d’ailleurs à y voir un signe irrécusable de la fortune publique. Quiconque connaît l’Orient sait quelles misères peut recouvrir la pourpre d’un despote asiatique et sur quelles ruines s’échafaude le plus souvent l’édifice de la grandeur royale.


JULES PATENÔTRE.