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séjour à Leyde de Scaliger, on compte 1,250 étrangers. Les Français surtout abondaient. Quoique Scaliger, à proprement parler, n’enseignât pas, il exerçait par ses conseils la plus heureuse influence sur les jeunes gens. Chez lui étaient familièrement reçus les fils de Dousa, savans précoces que la mort frappa avant qu’ils n’eussent tenu toutes leurs promesses, Hugo Grotius, le fondateur de la science du droit public, Meursius, Daniel Heinsius, un fils de Duplessis-Mornay, les frères de Vassan, à qui nous devons le second Scaligerana, tant d’autres enfin qui ont eu leur jour de succès et de réputation. De loin, par ses lettres, il encourageait et aidait le jeune Saumaise, une des espérances de l’érudition classique.

Après la mort de Scaliger, les curateurs ne voulurent pas laisser longtemps l’université sans ce que nous appellerions aujourd’hui une étoile. Ils appelèrent Saumaise; on lui offrait les mêmes libertés et les mêmes privilèges qu’à Scaliger, avec des appointemens encore plus élevés. De Dijon, sa patrie, Saumaise, qui, lui aussi, appartenait à la religion réformée, vint en 1630 s’établir à Leyde. Il y resta vingt-trois ans, non sans faire plusieurs voyages en France. Pendant qu’il était à Paris, Richelieu et plus tard Mazarin n’épargnèrent ni complimens ni promesses pour le décider à revenir s’y fixer. Ce fut en vain. Il retourna toujours en Hollande. C’est que les Hollandais avaient pour lui des procédés qui devaient le toucher. Lorsqu’en 1640 il se rendit en France pour y recueillir la succession de son père, un vaisseau de guerre, l’Électeur, le transporta à Dieppe, et, pour lui faire honneur, toute la flotte hollandaise l’escorta jusqu’à la côte normande. On avait d’autant plus de mérite à le traiter ainsi qu’en Hollande même il s’était fait, par son caractère, beaucoup d’ennemis; c’était le plus querelleur des savans. Il avait épousé une femme acariâtre, une vraie Xantippe, Anne Mercier, et, prétendait-on, il se dédommageait de ses misères domestiques sur les épaules de Pétau, de Héraud, de Heinsius et de ses autres ennemis littéraires ; il leur rendait les soufflets qu’il avait reçus de cette mégère. Aussi, quand il mourut dans un voyage qu’il avait fait en Suède sur les instances de la reine Christine, fut-il peut-être moins sincèrement regretté que Scaliger. Il ne s’était pas, aussi libéralement que celui-ci, mis à la disposition de tous ceux qu’amenait la noble passion de savoir; comme l’écrit Heinsius, « Saumaise siégeait dans son temple, semblable à un dieu, attendant les hommages et les offrandes des mortels. » Ce furent là pourtant les plus beaux jours de l’université; on y comptait à la fois, assis sur les bancs dans une même année, plus de 1,200 étudians, chiffre qui depuis n’a jamais été atteint alors même que, vers le commencement du siècle suivant, l’enseignement médical de Boërhave