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Avec cela, il n’y a qu’à le vouloir pour être en sûreté, on a tous les moyens de se défendre. Ce qui a été réellement vaincu dans les dernières discussions, ce n’est donc pas l’intérêt conservateur, c’est l’esprit de négation, cet esprit qui a tout fait avant le vote pour rendre les lois constitutionnelles impossibles, et qui ne demanderait pas mieux encore aujourd’hui que de les rendre inefficaces ou périlleuses ; c’est cet esprit qui par des calculs de parti, dans des vues éventuelles, ne cesse depuis deux ans d’aggraver les incertitudes du pays en s’efforçant de montrer qu’on ne peut rien faire, et en prolongeant un provisoire au bout duquel il y aurait pour les uns la monarchie, pour les autres l’empire. La véritable valeur politique des dernières lois, c’est qu’elles mettent fin à toute cette impuissance agitée, c’est qu’elles font quelque chose, et ce quelque chose est une victoire de modération et de bonne volonté.

C’est beaucoup sans doute, mais ce n’est évidemment qu’un premier pas, et ces lois elles-mêmes ne peuvent avoir leur vraie signification, leur efficacité, que par l’existence d’un gouvernement, C’est la question aujourd’hui. Un ministère sérieux, décidé, prenant résolument la direction des affaires du pays, c’est le complément nécessaire, indispensable, de l’organisation constitutionnelle. Les circonstances désignaient naturellement M. Buffet, et c’est à lui que M. le président de la république s’est adressé aussitôt pour le charger de former un cabinet. Malheureusement M. Buffet vient d’être frappé d’un deuil de famille qui l’a subitement appelé dans les Vosges. Il était au chevet de sa mère mourante pendant qu’on achevait de voter les lois constitutionnelles à Versailles, et c’est auprès d’une tombe qu’il a reçu l’appel de M. le maréchal de Mac-Mahon. M. Buffet se laissera-t-il absorber par une douleur faite pour exciter toutes les sympathies ? S’il suivait même son goût, ne préférerait-il pas rester à la présidence de l’assemblée ? Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a des momens où un homme public n’est peut-être plus libre de se refuser, et M. Buffet est à un de ces momens. Depuis deux ans, il a eu un rôle quelquefois décisif dans la politique. Sans avoir une intervention directe et active dans les affaires, il a été un conseiller toujours écouté. Sans prendre l’initiative d’aucun projet particulier, il était de ceux qui désiraient le succès d’une organisation constitutionnelle, n’attachant aucune importance à toutes les distinctions subtiles dans lesquelles on s’est si souvent égaré, sentant avant tout la nécessité d’une solution, et de la seule solution possible aujourd’hui. On peut même ajouter que par sa dextérité et son esprit d’à-propos dans la direction des débats parlementaires il a tout récemment sauvé deux ou trois fois ces malheureuses lois en train d’être emportées par les bourrasques qui ont soufflé sur Versailles. M. Buffet a de plus l’avantage de n’avoir été mêlé à aucune des combinaisons qui se sont succédé depuis un an.