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français. Il a déjà couché dans la poussière trente adversaires, et le vieil empereur va lui-même descendre dans l’arène quand retentit la cloche d’argent qui annonce l’arrivée d’un chevalier sans peur et sans reproche. C’est Gérald, Gérald que Berthe attendait, et qui vient relever le gant du Sarrasin. L’empereur lui prête Joyeuse, sa propre épée, la seule qui puisse se mesurer avec Durandal, et, appuyé sur Berthe, il assiste au combat du haut d’un balcon. Gérald revient vainqueur, l’empereur lui accorde la main de sa nièce. Là éclate le drame prévu. Le comte Amaury, mandé à la cour, est venu, et l’empereur l’a reconnu; touché de son repentir, Charlemagne lui a permis d’aller chercher la mort en Palestine. Malheureusement pour lui, un Saxon dont il a jadis tué le père l’a reconnu aussi et va lui jeter son nom à la face; la seule grâce qu’il obtient, c’est qu’il dira tout lui-même à son fils. Dans une scène navrante, il se confesse à Gérald, que cette révélation écrase, mais qui pourtant ne maudit point son père; seulement il sait ce qui lui reste à faire. Au quatrième acte, nous voyons s’assembler le tribunal d’honneur auquel sera soumis le cas du jeune paladin. Les survivans de Roncevaux et les héritiers des morts déclarent tous qu’il a racheté la faute de son père, et que rien ne s’oppose à son mariage. Gérald refuse, et Berthe, qui a le cœur haut placé, le laisse s’éloigner pour aller combattre les infidèles, armé de Durandal, que l’empereur place dans ses mains.

Tel est en peu de mots le fond de ce drame, qui renferme de belles scènes, — nous ne citerons que le banquet où Gérald dit la chanson qui célèbre Joyeuse et Durandal, et l’entrevue suprême entre Ganelon et son fils, — à côté de bien des faiblesses et des banalités. Ce n’est pas Shakspeare qui eût fait de Ganelon, subitement converti, un père de famille vertueux, monotone et larmoyant : de telles transformations n’ont rien d’humain, et le poète y perd l’occasion de fouiller un caractère. De même Charlemagne joue dans la pièce de M. de Bornier un rôle bien effacé; c’est un vieillard impotent dont les lamentations fatiguent et qui n’intervient au fond que pour se ranger à l’avis du dernier opinant. Voilà quelques-unes des réserves qu’on ne peut s’empêcher de faire après avoir constaté le succès très franc du drame nouveau dont les alexandrins sonores font retentir en ce moment les échos de notre première scène. Au reste l’interprétation, si elle est généralement suffisante et souvent remarquable, ne fait peut-être pas assez valoir certains rôles qui gagneraient sans doute à être joués avec plus de verve et de vigueur.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.