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FLAMARANDE.

rieuse de ce que Roger appelait mes inventions. Elle m’interrogeait sur mes greffes de rosiers, sur l’habile réparation du piano, sur mes études musicales, sur mes parties d’échecs avec M. Ferras. Roger lui avait parlé de tout cela. Il n’y avait que mes études littéraires qui fussent restées connues de moi seul.

Comme elle me demandait à quoi je m’occupais avec le plus de plaisir, je lui répondis que j’avais le malheur de me dégoûter de tout au moment d’aborder les véritables difficultés, et je compris alors à ses réflexions que ma tristesse l’avait frappée ou lui avait été rapportée, et qu’elle s’en inquiétait charitablement. Je me tins sur mes gardes et renfermai l’amertume de ma vie au fond de mon cœur. Elle me quitta à l’entrée du parc en me remerciant de mon assistance sur un ton d’égalité qui me toucha ; mais je me rappelai vite que c’était sa manière habituelle, je ne lui avais jamais vu avec personne un instant de hauteur.

Je fus pourtant très ému de cette promenade, et ma misanthropie en augmenta d’autant. Le lendemain, j’étais seul à faire des comptes devant ma fenêtre ouverte, et, après avoir fermé le registre, je restais dans une fixité douloureuse, lorsque deux ombres passèrent sur le cuir brillant de ma table, et je fis un effort pour sortir de ma torpeur ; c’étaient Roger et sa mère.

— Le voilà dans ses extases, dit Roger, qui avait alors un peu plus de treize ans. Tu vois, mère, quelle figure il a ! Il ne rit plus jamais, même avec moi ! Juge s’il est malade ! Et il ne se soigne plus, lui qui se soignait trop auparavant. Je t’ai amenée pour que tu le confesses, car, pour sûr, il a quelque grand chagrin, et à présent je te laisse avec lui. Il ne te résistera pas, il te dira son ennui, et tu le lui ôteras, ou il avouera qu’il est malade, et tu lui feras promettre de consulter tout de suite très sérieusement. Allons, monsieur Charles, ajouta-t-il en allongeant le bras pour me prendre l’oreille, obéis à ton enfant gâté, ouvre ton cœur au bon Dieu, c’est-à-dire à maman.

Ayant ainsi parlé, le cher enfant disparut, et je restai seul face à face avec sa mère, qui, accoudée sur l’appui de ma fenêtre, plongeait dans mes yeux hagards ses yeux d’une limpidité pénétrante. Ce regard fut si franchement affectueux que j’en subis le magnétisme. Fasciné et surexcité en même temps, je ne saurais dire pourquoi, voulant parler pour nier mon mal, je fus suffoqué par des larmes qui m’empêchèrent de dire un mot.

Elle me regardait toujours, et elle me prit la main en me disant d’une voix qui brisa toute mon énergie : — Pauvre Charles ! — Il y avait tant de bonté, tant de sincérité dans son geste et dans son accent que je perdis la tête et m’écriai, sans pouvoir ni choisir ni retenir mes paroles : Veille sur notre enfant ! Elle me regarda avec