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l’évanouissement de la conscience, qu’en rapport avec le cerveau notre nourriture, notre boisson, notre air, notre régime, ont une valeur de premier ordre, — oublier tout cela, c’est, selon moi, ouvrir la voie à d’innombrables erreurs pratiques, et même dans certains cas provoquer ou favoriser le mal cérébral, la ruine mentale qui s’ensuit et qu’une plus sage appréciation de ce mystérieux organe aurait permis d’éviter. »

« Je m’imagine, continue l’orateur, que l’évêque serait demeuré pensif à l’ouïe de cette argumentation. Il n’était pas homme à laisser la passion se mêler à une pareille discussion. Après réflexion, et fortifié par cette honnête contemplation des faits, qui était dans sa manière et qui implique le désir d’accorder leur valeur légitime aux faits qui nous contrarient, je suppose que l’évêque aurait raisonné comme il suit. « Veuillez-vous rappeler, aurait-il dit au disciple de Lucrèce, que dans mon livre de l’Analogie je ne me suis pas engagé à démontrer quoi que ce soit d’une manière absolue. A mainte reprise, j’ai insisté sur les étroites limites de nos connaissances ou plutôt sur la profondeur de notre ignorance en regard du système entier de l’univers. Mon dessein était de remontrer à mes amis déistes qui s’exprimaient avec tant d’éloquence sur la beauté de la nature et les bienfaits de son ordonnateur, tandis qu’ils n’avaient que du mépris pour les prétendues absurdités du christianisme, que leur condition n’était pas meilleure que la nôtre, et que, pour chaque difficulté qu’ils relevaient de notre côté, j’en relevais une tout aussi grande du leur. Avec votre permission, je suivrai en ce moment la même méthode. Vous êtes lucrécien, et vous déduisez toutes les choses terrestres, y compris les formes organiques et leurs phénomènes, de la combinaison et de la séparation d’atomes inanimés. Je vous dirai en premier lieu jusqu’à quel point je puis rester en votre compagnie. J’admets que vous pouvez produire des formes cristallines en mettant en jeu la force moléculaire, que le diamant, l’améthyste, les étoiles hexagonales de la neige sont d’admirables constructions qui n’ont pas d’autre origine. J’irai plus loin et je reconnaîtrai que même un arbre ou une fleur peuvent être organisés de cette manière. Plus encore, si vous pouvez me montrer un animal dépourvu de toute sensation, je vous accorderai qu’il a pu aussi se former par une action déterminée de la force moléculaire.

« Notre chemin est donc éclairci jusque-là. Vient maintenant ma difficulté. Vos atomes pris à part sont dépourvus de toute sensation et, ce qui plus est, de toute intelligence. Puis-je vous demander à mon tour de peser ce problème? Prenez vos atomes d’hydrogène sans vie, vos atomes d’oxygène sans vie, vos atomes de carbone sans vie, vos atomes d’azote sans vie, vos atomes de phosphore