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n’est pas plus favorable que le mal aux sciences de la nature. Dédaignant la vie terrestre, absorbés par la discussion religieuse, habitués à chercher dans les livres saints la règle de toute vérité, les chrétiens des premiers siècles étudient peu la nature ou l’étudient fort mal. De quelles misérables raisons peuvent se payer un Augustin, un Boniface, pour repousser les hypothèses scientifiques, aujourd’hui démontrées ! Le moyen âge chrétien, courbé sous l’autorité de l’église, n’a pas même l’idée d’une science indépendante et rationnelle. Au lieu de la physique, il cultive la magie; au lieu de chimie, il fait de l’alchimie; sous prétexte d’astronomie, il s’adonne à l’astrologie; en d’autres termes, au lieu d’élaborer la science, il s’absorbe dans les fantaisies d’une imagination sans règle et sans frein. L’influence d’Aristote a été néfaste. Le Stagirite a pu déployer de grands talens à d’autres égards; comme physicien et naturaliste, il a laissé des exemples déplorables. Il a mis continuellement des mots à la place des choses, il a préconisé l’induction sans la mettre en pratique, il a déduit à chaque instant le particulier du général, et c’est la voie inverse qu’il faut suivre. Il a prétendu déterminer a priori le nombre des espèces animales, affirmé que les battemens du cœur n’existaient que dans l’homme, soutenu que le côté gauche du corps était moins chaud que le côté droit, que les hommes avaient plus de dents que les femmes, qu’il existe un espace vide à la partie postérieure de la tête humaine, etc., toutes erreurs grossières dont l’observation la plus élémentaire l’aurait préservé. Et Aristote a passé pendant tout le moyen âge pour une autorité scientifique sans appel.

Ce sont les Arabes, ce sont surtout les Maures qui ont rallumé le flambeau de la science libre et méthodique. Quel savant chrétien de la même période peut-on opposer à cet Alhazen qui a découvert la réfraction atmosphérique, la raréfaction de l’air à mesure qu’on s’élève, la théorie du centre de gravité, les proportions entre la rapidité des corps qui tombent et les espaces parcourus, qui a déterminé avec une étonnante justesse les densités relatives des corps et qui avait déjà l’idée claire de l’attraction capillaire? Quel principe supérieur lui a permis de devancer à ce point son époque entière? Celui qui déjà inspirait les grands savans grecs, le principe d’observation dégagé de toute préoccupation théologique.

Cela est si vrai que la science moderne ne se fonde sérieusement qu’à l’époque où les esprits s’émancipent de l’autorité traditionnelle. Le véritable esprit scientifique renaît avec Copernic, Giordano Bruno, Galilée, Kepler, Bacon et Descartes. En peu d’années, il s’approprie et dépasse tout ce que l’antiquité avait pu lui léguer. Mais qu’on y fasse bien attention, dans les temps modernes comme