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que nous sommes désormais loin de l’idée très incomplète qu’on s’en faisait dans 1rs anciennes écoles. Au temps de la grande guerre entre les spiritualistes et les matérialistes, la matière était cette substance étendue, impénétrable, divisible, inerte par elle-même, absolument étrangère à la vie. et à la pensée, que nous pouvions voir, toucher, ou du moins nous figurer visible et palpable. Par conséquent il était fort naturel de poser en axiome que la vie et la pensée en sont absolument distinctes. On devait se demander, il est vrai, et l’on se demandait, comment deux substances contradictoires s’arrangeaient pour coexister dans les mêmes individus et exercer l’une sur l’autre une foule d’actions et de réactions réciproques. L’histoire de la philosophie a enregistré les solutions tantôt ingénieuses, tantôt puériles, toujours insuffisantes, qui ont été successivement proposées, depuis les « causes occasionnelles » jusqu’à « l’harmonie préétablie. » On en était venu à renoncer à toute solution. Là-dessus, les sciences naturelles continuent d’avancer. Elles découvrent que la vie et la pensée sont bien moins extérieures à la matière qu’on ne le disait. Elles remontent d’un côté jusqu’aux relations incontestables de la vie du cerveau et de celle de l’âme ; de l’autre, elles atteignent dans les dernières profondeurs des règnes organiques ces êtres vivans qui diffèrent à peine d’une cristallisation. Lors même que plus d’un anneau manque encore à la chaîne et qu’en particulier le phénomène de la sensation, si vague, si obscure qu’elle soit dans sa première apparition, semble dénoter quelque chose d’absolument irréductible à tout ce qui la précède, il n’en reste pas moins qu’on entrevoit la possibilité, toujours plus probable, de passer par une série sans interruption de la matière inanimée à la vie et de la vie à l’esprit. Mais quoi ! à peine la science a-t-elle envisagé cette imposante notion du développement ascensionnel des êtres, qu’elle découvre l’impossibilité de laisser la matière réduite à ses propriétés classiques, qu’elle sent la nécessité d’en élargir la définition, et il se trouve qu’à la fin la matière, la vraie matière doit, en outre de ces propriétés, en contenir d’autres qui rendent concevables l’apparition de la vie à un certain moment de la série, celle de l’esprit tout au sommet. C’est à la monadologie de Leibniz ou du moins à quelque chose d’approchant que la science de la nature nous ramène. Franchement, les vieux spiritualistes n’avaient pas tellement tort quand ils niaient la possibilité de faire sortir la vie et la pensée de la matière telle qu’on la leur définissait, et le matérialisme sensé ou plutôt l’étude indépendante de la matière et de la nature leur donne raison quant au fond en reportant dans la matière elle-même une force encore latente, bien qu’en action peut-être déjà dans la polarité, mais