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Berlin, à Leipzig, à Stuttgart. Aujourd’hui encore l’Histoire de la grande armée, non plus dans une traduction, mais dans le texte même, est employée aux exercices classiques des gymnases, à la fois comme document authentique et comme modèle de composition.

Que sont après tout des critiques personnelles et intéressées, lorsqu’on voit les compagnons de Ségur, les plus humbles aussi bien que les plus grands, s’empresser à l’envi de lui rendre témoignage ? C’est le maréchal Lauriston, c’est le général duc de Plaisance, c’est le général comte Lobau, c’est le général comte de Caffarelli, tous les quatre aides-de-camp de l’empereur pendant la campagne racontée par Ségur ; c’est le comte Daru, qui a vu de près tant de choses et connu tant de secrets ; c’est le comte Dumas, intendant-général de la grande armée en 1812 ; c’est le maréchal Excelmans, alors général d’avant-garde durant toute la campagne de Russie ; ce sont les généraux Allix, de La Ville, Durrieu, Partouneaux ; c’est le général de Fezensac, alors colonel, un des héros lui aussi et l’historien si pathétique de la retraite ; c’est le savant Jomini, le maître ès-arts des grandes manœuvres, et à côté de tant de noms illustres, des combattans obscurs, un lieutenant de cavalerie, un simple grenadier, élevant la voix pour des milliers de camarades et disant à Ségur, chacun à sa manière, ce que le colonel de Fezensac lui écrit en ces termes : « Tous ceux qui ont échappé à ce grand désastre partagent vos sentimens ; il est impossible de voir une peinture plus vive et plus vraie dans tous ses détails. »

S’il était nécessaire aujourd’hui de défendre le général de Ségur contre ceux qui l’accusaient d’avoir manqué à ses devoirs, parce que, dévoué à l’empereur, il s’était montré plus dévoué encore à la justice et à la vérité, je citerais ces paroles d’une lettre de la reine Hortense dont l’original appartient aux Archives nationales : « C’est avec son âme qu’on écrit ainsi. Une femme ne peut juger que par ses impressions. Si j’étais homme, j’oserais affirmer qu’il y a quelque chose d’antique dans ce livre et qu’il sera classique dans notre langue. Les événemens, les hommes, les malheurs, les fautes même, y ont de la grandeur. » Enfin n’oublions pas que la dauphine, apprenant par le récit de Ségur de quelle gloire s’était couvert le prince de la Moskova pendant la retraite de Russie, s’écria plusieurs fois : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi ignorions-nous tout cela ? Que d’héroïsme ! Pourquoi M. de Ségur n’a-t-il pas publié plus tôt son livre ? il eût sauvé la vie au maréchal Ney ! » Ainsi toutes les voix s’unissaient en ce concert d’éloges. Le plus grand de ces hommages, n’est-ce pas ce cri de regrets, j’allais dire de remords, arraché à la fille des Bourbons par l’historien de nos