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naïvement de ce regain de vigueur et de sérénité, que les plus cruelles douleurs domestiques vinrent s’ajouter pour lui aux calamités nationales. Dès son entrée en Russie, à peine rassuré, nous l’avons vu, sur le sort de son frère prisonnier, il avait appris la mort de sa sœur, et quelle sœur ! Une personne si parfaite, d’un esprit et d’un cœur si rares, nous dit-il, que « plus le portrait en serait fidèle, plus on le trouverait invraisemblable. » A Posen, un coup plus terrible encore le frappe en pleine poitrine, il apprend que sa femme vient de mourir, une jeune femme ! une jeune mère ! Certes, de toutes les atteintes auxquelles il se croyait exposé, c’était la plus inattendue. « Eh quoi ! s’écrie-t-il avec une bien touchante éloquence, le malheur pouvait-il donc être partout à la fois ? Devais-je l’attendre d’autre part que de cette Russie où j’avais appris la fin de ma sœur, où tant de mes compagnons venaient de succomber, où je laissais mon frère captif ? N’était-ce pas de ce côté seulement qu’il y avait à craindre, qu’il faudrait combattre encore ? Et là même ce malheur n’avait-il pas été si excessif qu’il semblait avoir épuisé toutes ses rigueurs ? J’y avais laissé tant de morts que je ne songeais pas qu’on pût mourir ailleurs ! »

A peine revenu en France, Ségur est chargé d’une mission singulière et pénible. L’empereur, occupé à réorganiser son armée, avait ordonné la levée d’une cavalerie volontaire de 10,000 gardes d’honneur partagés en quatre corps. Le 3e corps, celui de l’ouest, le plus difficile à former et à commander, est dévolu au général de Ségur. C’était à la veille de la guerre contre toute l’Europe ; Ségur réclame l’honneur d’y prendre part, l’empereur refuse, et, comme Ségur insiste, il ajoute d’un ton qui ne souffre pas de réplique : « Je ne consulte pas dans mes choix les goûts de chacun, je consulte le bien de mon service, j’emploie mes officiers où ils peuvent m’être le plus utiles. » Impossible de ne pas se soumettre ; tandis que le sort de la France va se décider dans les plaines de la Saxe, il faut bien se résigner à surveiller en Touraine des affaires d’organisation qui ressemblent fort à des affaires de police. Il y avait beaucoup de Vendéens parmi ces volontaires plus ou moins contraints du 3e corps. C’est précisément pour cela que Napoléon avait assigné ce poste au général de Ségur, comptant sur son nom, sur son exemple, sur le charme et l’autorité de sa personne pour prévenir chez les fils des chouans toute pensée de révolte. La lâche fut laborieuse. Plusieurs de ces jeunes gens portaient des noms illustres dans les guerres civiles : La Roche-Saint-André, Sapinaud, Marigny, d’Elbée, Charette ! On ne s’étonnera pas qu’à l’heure où l’empire était menacé par une coalition immense des idées de complot aient travaillé ces têtes chaudes. Peut-être Ségur, dans la