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FLAMARANDE.

cette maison, qui paraissait habitée. Pourtant je n’apercevais ni une figure humaine, ni un chien, ni un animal quelconque ; les volets étaient clos, car il y avait d’épais volets de bois aux fenêtres d’en bas. Ce rez-de-chaussée, si on peut l’appeler ainsi, était situé à la hauteur d’un entresol de Paris. Tout le pied du petit édifice était ou paraissait être un massif de forte maçonnerie destiné à résister aux crues du torrent ou à préserver les chambres de l’humidité. En examinant ce massif, je découvris bientôt qu’il était d’une construction ancienne, et même certains détails dans les matériaux et dans le mode d’emploi me firent juger que cette construction, contemporaine de celle de Flamarande, n’était qu’une ruine restaurée, peut-être une annexe détachée du manoir, et dont les débris oubliés, perdus dans la verdure, avaient échappé longtemps à mon attention.

Je fus encore plus sûr de mon fait quand je me trouvai assez près de la porte pour en examiner l’architecture massive, qui pouvait remonter au xii e siècle. C’était exactement la même porte que celle de la poterne de Flamarande. En elle-même, la porte était moderne, taillée en planches de pin, et n’annonçait, par son épaisseur, aucune méfiance des dangers de la solitude. En y portant la main, je vis qu’elle n’était pas fermée, car elle s’ouvrit presque devant moi, sans crier sur ses gonds, sans faire résonner aucune sonnette.

Devant moi s’ouvrait un escalier étroit et raide, recouvert d’un bon tapis de sparterie qui dissimulait l’ébréchure des marches. Un peu plus haut, ces marches étaient en bois, le tapis était en laine, un vieux tapis, mais précieux, de ceux qu’on appelait verdures d’Auvergne. Cela devait provenir du château de Flamarande, où j’en avais vu de semblables servant de tentures de lit dans les chambres occupées par les fermiers.

Je montai sans bruit et me trouvai en face d’une porte entr’ouverte. J’avançai la tête. Je vis une pièce déserte, très simplement décorée, mais d’un goût et d’un confort qui n’étaient pas le fait d’une famille de paysans. Il n’y avait qu’une chambre à chaque étage. Celle-ci pouvait servir à la fois de salon et de réfectoire. Je l’examinai curieusement. Cette partie de l’édifice était entièrement neuve. Une seule fenêtre, qui par parenthèse était ouverte, sans aucune espèce d’ornement extérieur, éclairait discrètement ce réduit, capitonné en toile grise, bordé de torsades et de glands bleus. Une bonne cheminée de lave doublée de fonte était pleine de fagots et de pommes de pin qui devaient prendre feu en un instant. Les meubles étaient pareils à la tenture ; aucune gravure, aucun tableau, rien qui pût trahir les souvenirs ou les goûts du propriétaire ; sur le carreau formé de laves, un épais tapis de peaux de mouton