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mais aussi, depuis l’avènement du régime parlementaire, celle qui offre le plus de chance à l’ambition politique. Nombre de personnages des plus influens de l’état sont sortis de ses rangs ou en font encore partie. Aucun peuple n’est peut-être aussi porté que les Roumains à se laisser diriger ou séduire par une parole éloquente ou facile. L’esprit public favorise chez eux les avocats, tandis qu’en Serbie la sobriété d’un peuple de mœurs beaucoup plus simples et plus rustiques a réagi contre eux jusqu’à les exclure systématiquement de l’arène politique.

La constitution en vigueur, qui assure à tous les Roumains une parfaite égalité devant la loi avec la jouissance de toutes les libertés, est certainement une des plus libérales qui existent. On pourrait croire d’après cela qu’elle régit une société essentiellement démocratique. Ce serait une erreur, ou du moins la démocratie n’y est-elle encore que virtuellement fondée; en réalité, les mœurs sont essentiellement aristocratiques. Cette contradiction apparente s’explique par la concentration d’une très grande partie de la propriété foncière en un petit nombre de mains et l’état inculte de la masse du peuple. Les paysans sont retenus par leur profonde ignorance et leur peu d’aisance dans une condition dont les difficultés ne permettent que bien rarement à ceux qui y vivent de s’élever par leurs propres efforts. Le mouvement dans ce sens est si lent qu’il ne peut sensiblement diminuer la grande inégalité de fait entre la masse du peuple et la petite minorité favorisée par le sort. La suppression légale de tout privilège de la naissance et de toute barrière sociale a bien pour objet, mais ne peut à elle seule avoir pour effet de modifier de sitôt l’état de choses actuel. Ce sera l’œuvre du temps, et jusque-là ceux qui ont déjà le dessus n’auront guère de peine à conserver leur influence incontestée sur la direction du pays. Le peuple, cherchant quelqu’un pour lui servir de guide ou défendre ses intérêts, ne le trouverait aussi que dans les rangs de ceux qui constituent seuls encore la nation politique. La minorité dont il s’agit comprend toutefois non pas seulement une classe, mais toute une couche supérieure dont la formation, nullement homogène, rend ici nécessaires quelques nouvelles distinctions. Il n’existe pas légalement, on peut même dire qu’il n’y a jamais eu dans les principautés une noblesse régulière. Les titres de boîars et de grands-boîars ne faisaient dans l’origine qu’indiquer la différence entre les grands offices et les autres fonctions publiques moins élevées de l’ordre supérieur. Comme alors, encore bien plus qu’aujourd’hui, les honneurs et les grands emplois se partageaient toujours entre un certain nombre de familles de même condition, ils y paraissaient en quelque sorte héréditaires, et la boïarie finit en 1736 par devenir, sous le règne de Constantin Maurocordato,