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population indigène était assez peu nombreuse pour que quelques milliers d’étrangers constituassent déjà un élément important; aujourd’hui c’est par mille ou deux mille chaque semaine que se comptent les immigrans qui débarquent à Buenos-Ayres. Il est facile dès lors de comprendre quel changement doit apporter dans l’évolution politique de la république argentine cet élément nouveau, encore mal connu, sans homogénéité, réduit à un rôle passif, vrai maître des marchés financiers et commerciaux et sans influence sur la politique. L’occasion ne s’était pas encore présentée avant cette révolution de voir cette masse considérable d’intérêts et d’individualités à la merci d’un orage politique. Tous les esprits étant exclusivement préoccupés des affaires pendant les cinq premières années de la dernière présidence, la politique paraissait être devenue une préoccupation secondaire. A peine un soulèvement de partisans à la suite de l’assassinat du général Urquiza avait-il troublé une province; le progrès général n’en avait pas été atteint.

L’immigration s’était élevée pendant les six premiers mois de 1874 à 35,000 personnes, pour la plupart Italiens et Français. Le pays pour la première fois avait exporté des céréales, les revenus de la douane s’étaient élevés, de 12 millions de piastres en 1868, à 20 millions en 1873. L’importation était de 250 millions par an, l’exportation l’égalait presque. L’instruction s’était développée dans les mêmes proportions : il y avait 20 écoles en 1868, et 1,117 en 1873. Une seule bibliothèque existait en 1852 et 140 en 1873. Des fils télégraphiques unissaient toutes les provinces entre elles et la république avec l’Europe; le nombre des vapeurs réguliers d’outre-mer s’était élevé de 2 à 20 par mois, la consommation du papier d’imprimerie de 12,000 à 200,000 rames, et le nombre des machines en mouvement de 5,500 à 70,000. Ce sont là des résultats qui tiennent du prodige, et l’on pouvait supposer qu’après avoir créé une pareille richesse, avoir préparé le pays par l’école à tous les progrès, on eût détruit tous les germes de discordes, intéressé la population entière à la paix, d’où dépendait la consolidation de cette richesse acquise.

Au milieu de cette prospérité générale, qui semblait bien assise, puisqu’elle avait pour base la plus-value de la terre et l’augmentation rapide de ses produits, la création d’un matériel important, premier pas dans une voie de progrès industriel, où pouvait-on trouver les causes d’une révolution? Y avait-il en jeu des questions de principes qui pussent diviser les esprits, ou s’était-il produit des faits de nature à mettre en péril l’avenir de la liberté? Deux événemens venaient au contraire de donner la preuve récente de l’union la plus parfaite. La république argentine avait consacré ces