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féodal mêlé de grandeur et de ridicule eurent du moins pour résultat de fonder la république dans la Plata en faisant comprendre à tous le prix de la liberté. Le renversement de Rosas fut le commencement d’une ère nouvelle où les esprits se disciplinèrent, et pendant les dix ans de discorde et de guerre civile qui suivirent sa dictature les esprits étaient déjà d’accord sur les questions de liberté; il n’y avait en jeu qu’une question d’influence de province et de préséance dans la république confédérée. Cette dernière querelle elle-même a été résolue et vidée, et la république est certainement sortie plus grande et plus prospère de cette longue période révolutionnaire : on a vu une dernière fois que les révolutions sont pour ces peuples jeunes l’école où ils mûrissent vite et se constituent vigoureusement. La république argentine prouve par son histoire cette vérité, mais elle ne la prouve pas seule. Le Brésil et le Paraguay, ses voisins les plus proches, affirment la même proposition par les faits contraires de leur histoire. Ces deux peuples n’ont pas connu ces périodes agitées, et n’ont que rarement été troublés par des soulèvemens passagers; l’un et l’autre ne sont pas arrivés à dire le dernier mot de leurs convulsions politiques. Le Paraguay, écrasé par le despotisme de Francia et des Lopez, auquel l’avait préparé l’éducation monacale des jésuites, n’a pas connu les révolutions et s’est atrophié. Plus prospère au début qu’aucune autre colonie espagnole, favorisé plus que tout autre de la nature, desservi par un fleuve gigantesque, route qui marche pendant huit cents lieues jusqu’à la mer, le Paraguay a vu sa population s’abâtardir et s’annihiler jusqu’à s’immoler pour l’ambition et par l’ordre d’un tyran oriental. Le Brésil, lui, s’est constitué en gouvernement monarchique après la déclaration d’indépendance en 1825, il a confié ses destinées à une dynastie et son avenir aux garanties d’une charte constitutionnelle. Les deux hommes qui jusqu’ici l’ont gouverné, dom Pedro Ier et dom Pedro II, ont été par un hasard heureux deux hommes d’un rare mérite et d’une grande modération; jamais sous ces deux règnes le pays n’a été troublé, mais par contre, avec une situation géographique et hydrographique meilleure que celle de tout autre pays, même de l’Amérique du Nord, le Brésil n’est pas dans une voie de progrès, et depuis plus de vingt années il tend chaque jour à prendre rang derrière les républiques du sud; les économistes et les publicistes indigènes le déplorent ouvertement. Il n’y eut jamais d’autre cause aux menaces de guerre hautement proférées à Rio-Janeiro dans les dernières années. Le mal, chaque jour plus profond, n’existerait pas, si l’éducation politique du Brésil s’était faite au milieu des luttes de chaque jour; il lui faudra de longs combats pour sortir de l’impasse créée