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idées, — il n’avait aucune de leurs idées ni sur la politique, ni sur les finances, ni sur l’organisation militaire, ni sur l’économie sociale, — c’était tout simplement parce que dans les conditions présentes de la France, dans la division profonde des partis monarchiques, il croyait la république seule possible. Le jour même du 24 mai, quelques heures avant sa chute, M. Thiers disait : « Il y a dans le parti républicain des hommes assez sages pour comprendre que le sort de la république est attaché à cette condition ; c’est qu’au lieu d’effrayer le pays, elle le rassurera. Ils ont poussé la raison jusqu’à comprendre qu’il fallait que leur république, pour ne pas effrayer, fût dans les mains d’hommes qui se recommandassent au pays pour la conduite politique et sage de leur vie… Ils ont compris la nécessité de la situation… » C’est là tout le mystère. Ce que M. Thiers pressentait et précisait avec sa sagacité supérieure s’est réalisé presque point par point. Les partis monarchiques ont montré plus que jamais leurs divisions et leur impuissance, ils ont donné raison à ce que M. Thiers n’avait cessé de leur dire jusqu’au 24 mai ; la république a été seule possible, et aujourd’hui, comme il y a deux ans, la gauche est prête à appuyer le ministère nouveau, non pour les idées dont il est manifestement inspiré, mais parce qu’il préside à une organisation constitutionnelle de la république, consacrée par la souveraineté parlementaire. Il n’y a dans cet appui rien de mystérieux, rien d’embarrassant, ni pour la gauche, qui sait comprendre « la nécessité de la situation, » ni pour le gouvernement, né de cette série de complications, gardant son indépendance, ayant le sentiment des devoirs complexes qui lui sont imposés.

Et maintenant que va faire ce gouvernement né d’hier ? Assurément un cabinet qui réunit dans son sein des hommes tels que M. Buffet, M. Dufaure, M. le duc Decazes, M. Léon Say, ce cabinet a une force de talent et de considération qui lui permet, s’il le veut, de suivre une politique avec autorité. Il va se compléter par des sous-secrétaires d’état, entre lesquels compte un des membres distingués du centre gauche, esprit éclairé et libre, M. Bardoux, qui doit être à la justice le lieutenant de M. Dufaure. Reste toujours cette question de l’équilibre politique du gouvernement, de la direction qu’il va donner aux affaires du pays. Le ministère a cru devoir porter, il y a deux jours, à l’assemblée une sorte de programme, une déclaration résumant ses vues générales. Soit, puisque c’est l’habitude. Les déclarations ne sont point, en définitive de première importance ; elles disent tout ce qu’on veut, et le plus souvent elles ressemblent au salut plus ou moins respectueux d’un pouvoir qui tient à se mettre en règle avec les bienséances parlementaires. Mon Dieu ! il ne faut pas trop épiloguer sur les mots. Il est bien certain qu’un gouvernement sérieux, réunissant des hommes d’origine diverse, né par une transaction et pour une conciliation, ne peut pas parler le