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que toutes les ruses de guerre sont licites. Une sentinelle surprise et égorgée dans une reconnaissance nocturne aura-t-elle la satisfaction de se dire qu’elle meurt selon les règles de la guerre, ou lui sera-t-il permis de se plaindre qu’il y ait quelque chose d’irrégulier dans son triste accident? qui éclairera la conscience des généraux et des officiers? qui se chargera de leur apprendre où finit la ruse, où commence la trahison? La philanthropie, qui avait pour elle la logique, avait le droit d’exiger qu’on réglât définitivement la question controversée de l’espionnage et des espions. Ou l’espionnage est tenu pour un moyen immoral et illicite, et il faut le prohiber, — ou il est envisagé comme un moyen licite et nécessaire, et l’espion doit être protégé contre les impitoyables sentences et les procédés expéditifs de la justice militaire. La conférence ne s’est pas souciée de satisfaire à la logique. Elle a statué d’une part que l’espionnage ne saurait être prohibé, attendu qu’il est permis à tout chef d’armée de se procurer des renseignemens sur l’ennemi; elle a statué d’autre part que l’espion pris sur le fait serait jugé et traité conformément aux lois en vigueur dans l’armée qui l’a saisi. La philanthropie réclamait l’interdiction des représailles, cette forme barbare et hypocrite de la justice qui substitue la vengeance au châtiment et frappe les innocens pour se consoler de ne pouvoir atteindre les coupables. La conférence préféra éviter cette discussion délicate, que des souvenirs encore brûlans auraient pu rendre périlleuse. Elle jugea bon d’éliminer les articles relatifs à ce grave sujet, et c’est ainsi qu’elle éluda, comme l’a remarqué lord Derby, l’une des principales difficultés qui s’imposaient à son étude.

En revanche, elle a pensé pouvoir sans danger régler et définir tout ce qu’une armée envahissante est autorisée à exiger des populations qu’elle envahit. Ici encore deux principes opposés se trouvaient en présence. L’humanité demandait qu’à l’ancien adage : la guerre nourrit la guerre, on substituât cette autre maxime plus conforme au progrès des mœurs et de la civilisation : la propriété privée est inviolable. Les militaires ont répliqué que si humain que soit un général, quelque désir qu’il ait de ménager les populations, son premier devoir est de songer à ses soldats, la première de ses obligations de fournir à leurs besoins et de veiller à leur bien-être. La conférence a dû se contenter de statuer que la propriété privée est respectable. Elle a fait une règle aux généraux et aux officiers de ne demander aux communes ou aux habitans que des prestations et des services proportionnés aux ressources du pays; mais elle a reconnu la nécessité des réquisitions, et n’y a pas trouvé d’autre adoucissement que de décider que pour toute réquisition, à défaut d’indemnité, il serait délivré un reçu. — On sait ce que valent ces quittances d’usage, a-t-il été dit par les opposans, elles ne sont qu’un chiffon de papier. Donnons-leur une valeur réelle, qu’il soit entendu