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REVUE MUSICALE.
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Regrettez-vous le temps où l’opéra comique était l’opéra comique, où Scribe et Planard, Mélesville et Saint-Georges écrivaient de jolies pièces en trois actes que Boïeldieu, Auber, Hérold, Adam, mettaient en musique ? Scribe surtout excellait dans ce genre, son esprit s’y donnait carrière, pleinement affranchi de ce gros embarras du style qui au Théâtre-Français le gênait tant. En matière de libretto, la langue qu’on parle importe peu, les sentimens et la passion peuvent se contenter d’une sorte d’expression sommaire, la situation seule prédomine, et nous savons quelle entente Scribe possédait de la situation. La Dame blanche, Fra Diavolo, la Part du Diable, sont à ce point de vue de vrais chefs-d’œuvre et forment un spectacle qui vous intéresse sans vous causer la moindre fatigue. Les scènes vont gaîment leur train, l’intrigue se noue et pivote sur une donnée toujours plus ou moins énigmatique, et quand au beau milieu du dialogue l’orchestre entame sa ritournelle, c’est avec délices que vous accueillez ce motif galant et pimpant, qui semble venir là tout exprès pour vous avertir de ne pas trop vous fier à des combinaisons que l’auteur va déjouer tout à l’heure. Aujourd’hui nous avons changé tout cela ; parler d’idéalisme et de réalisme à propos d’opéra comique, c’est peut-être employer de bien grands mots, force est pourtant de reconnaître que de nouvelles tendances se sont affirmées. Notre opéra comique ne badine plus, il devient sérieux ; au lieu d’éluder ingénieusement un sujet en ce qu’il peut offrir d’insolite et de repoussant, il nous plaît au contraire de l’aborder de front : les duels au couteau, le coup de poignard tragique au dénoùment, rien ne nous effraie, et penser que Scribe, dans Fra Diavolo, s’épuisait en de si prestigieuses ressources pour sauver la situation en nous représentant un bandit capable de tout hors de la scène, mais qui devant le public se ferait scrupule de mentir aux convenances du genre ! Il n’avait qu’une idée, tourner autour de la question, évoluer. Ses opéras comiques sont des devinettes musicales merveilleusement amusantes ; vous pouvez vous y laisser aller, certain de ne rencontrer jamais l’ignoble ni l’horrible, deux élémens qu’il escamotera d’une main habile, s’ils se trouvent dans son sujet. Il serait curieux à ce titre de comparer l’Espagne du Domino noir à l’Espagne de Carmen ; d’un côté vous auriez Le Sage et Gilblas, de l’autre Mérimée.

C’est donc un fait accompli et sur lequel il n’y a plus à revenir, l’opéra comique tel que nos pères le comprenaient, tel que nous l’avons goûté dans notre jeunesse, ce genre-là n’existe plus : la symphonie et l’opérette l’ont tué. Les esprits élevés, les artistes sont allés vers la sym-