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FLAMARANDE

CINQUIÈME PARTIE[1].

LIX.

Ainsi la destinée, depuis plus de vingt ans éludée, combattue, vaincue en fait, semblait reprendre ses droits et ramener impérieusement la famille de Flamarande au complet sur ce rocher qui fut son berceau.

À chaque tour de roue qui m’en rapprochait, je voyais avec terreur arriver le moment où allaient se trouver en présence la mère et ses deux fils, inconnus l’un à l’autre, avec le père de Gaston, vivant et agissant, et le père de Roger, inerte, impuissant, scellé dans son cercueil de métal, présent quand même dans la pensée de tous à cette crise suprême que sa dernière volonté provoquait fatalement.

Avait-il eu conscience de ce danger en choisissant Flamarande pour le lieu de sa sépulture ? Le désir de reposer au pied de ses parens l’avait-il emporté sur toute autre considération ? S’était-il imaginé que ni sa femme ni son fils absent n’assisteraient aux derniers honneurs qui lui seraient rendus ? ou bien avait-il tracé son dernier ordre dans un de ces momens d’abattement suprême, où le passé s’efface comme un vain rêve ? Il ne m’avait pas consulté, je n’avais qu’à obéir, et je me sentais redevenu passif devant le choc inévitable.

Je roulais ces pensées dans mon esprit durant les heures que je passai souvent en tête-à-tête dans le wagon mortuaire avec Mme de

  1. Voyez la Revue du 1er et 15 février, et du 1er et 15 mars.

tome VIII. — 1er avril 1875.                                                                                31