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difficultés. C’est là le trait caractéristique de M. de Rémusat, et l’originalité de son rôle en philosophie. Il a eu, il a conservé le sentiment des difficultés dans une école où ce sentiment s’effaçait. N’est-ce pas dire qu’il a eu à un haut degré l’esprit philosophique? car qu’est-ce que l’esprit philosophique, si ce n’est l’esprit d’examen, de recherche, de critique, de discussion? Qu’est-ce qu’un philosophe, si ce n’est un homme qui soulève des problèmes, qui pose des points d’interrogation? Des questions résolues appellent de nouvelles questions; une difficulté surmontée fait naître mille difficultés. Cette lutte éternelle est la vie même de la science, et la philosophie, considérée comme science, ne peut échapper à ces conditions. Bien plus, dans l’intérêt des vraies doctrines, il eût peut-être été à désirer qu’on n’eût pas aussi vite aspiré à un formulaire définitif, et la circonspection critique de M. de Rémusat était peut-être plus sage qu’un dogmatisme trop absolu. Il y avait trop de disproportion entre l’immensité des problèmes et les trois ou quatre dogmes auxquels on réduisait toute la science philosophique. Ces dogmes rétrécissaient trop l’horizon de la pensée; ils étaient plus négatifs que positifs : on séparait les choses, on ne s’occupait pas de les unir. Dieu n’est pas le monde; l’âme n’est pas le corps; la liberté n’est pas la nécessité; le devoir n’est pas l’intérêt. Fort bien ; mais, si toutes ces choses sont si distinctes, si séparées, comment coexistent-elles? Et que de questions oubliées, écartées! Comment l’humanité tient-elle à la nature? comment la vie sort-elle de la matière brute? comment la force et la matière s’unissent-elles? Si l’on était riche en objections contre ses adversaires, combien peu d’objections se faisait-on à soi-même! Bossuet a dit qu’il n’a pas ignoré les objections contre la religion, mais qu’il les avait « méprisées. » Rien de plus éloquent dans un discours; mais rien de moins philosophique. En méprisant les difficultés, on ne tranquillise pas les esprits, on ne les satisfait pas; ils se dégagent peu à peu et vous abandonnent, parce qu’on leur demande plus qu’ils ne peuvent, plus qu’ils ne veulent donner. Peut-être en mitigeant le dogmatisme de l’école et en laissant ouverts quelques chemins à la liberté de la pensée, faisait-on plus pour préserver les grands principes qu’en se renfermant trop tôt dans des cadres trop étroits. Quoi qu’il en soit, M. de Rémusat est un de ceux qui ont toujours maintenu les questions ouvertes, et, s’il lui avait plu d’accentuer plus fortement la méthode et les principes de ce que j’appellerais volontiers un spiritualisme critique, il n’aurait pas manqué d’esprits qui eussent aimé à se grouper autour de lui.

En même temps que la philosophie répondait chez M. de Rémusat à l’esprit de recherche et d’examen, elle était encore pour lui quelque chose de plus, une chose d’âme et de foi. Tandis que, trompés par