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FLAMARANDE.

reconduisit, s’arrêta avec lui sur le seuil, et ils échangèrent là des paroles dont je ne pus saisir que les dernières. — Ainsi c’est convenu, disait ma filleule ; pas un mot à personne, pas même à M. Alphonse ni à Ambroise !

— Puisque ton père le veut ! répondit Espérance.

— J’ai bien promis, reprit Charlotte, de ne rien dire à maman ni à mes sœurs !

— Oui, mais M. Alphonse… Allons, j’ai promis ; pour toi, Charlotte, je suis capable de tout !

Ils se séparèrent. Charlotte ferma la porte, et Gaston s’en alla par la poterne, dont sans doute il avait la clé. Charlotte remonta en appelant par un petit sifflement discret son vieux chien, que je me hâtai de délivrer et qui alla la rejoindre.

Tout marchait au gré de mes souhaits. Gaston s’était engagé, et les vieux amis ne devaient pas le savoir. L’honneur autant que l’amour le retenait désormais à Flamarande. J’étais fatigué. Je me jetai sur mon lit tout habillé, pour être prêt à recevoir Roger, s’il arrivait dans la nuit. Il arriva en effet avant le jour, et le premier j’entendis la cloche secouée par sa main impatiente, dont je reconnus bien la vigueur. Je courus lui ouvrir et fus rejoint presque aussitôt par Ambroise, qui sortait de la vacherie, et par Michelin, qui accourait jambes nues et le bonnet à mèche au front. En même temps je vis s’éclairer les fenêtres du donjon ; madame avait entendu la cloche, elle se levait à la hâte.

Roger courut vers elle et la trouva sur l’escalier du donjon. Ils se dirent quelques mots en se donnant beaucoup de baisers ; puis Roger, qui avait pris un cheval de poste pour arriver plus vite, conjura sa mère de se rendormir jusqu’à l’heure de la triste cérémonie, et promit de dormir aussi le plus vite possible. Il était fatigué, étant peu habitué à courir la poste en personne. Je le conduisis à sa chambre, où Michelin nous laissa seuls, tandis qu’Ambroise s’occupait des chevaux et du postillon. J’avais préparé du thé, du rhum et quelques victuailles froides auxquelles mon cher enfant fit honneur, tout en me racontant que l’abbé Ferras n’avait pu se décider à enfourcher un cheval pour courir la nuit le long des précipices. Il était resté à Murat, et ne viendrait que le lendemain matin pour la cérémonie. Roger me questionna sur le compte de sa mère. Avait-elle eu beaucoup de chagrin ? sa santé n’avait-elle pas souffert du triste voyage qu’elle venait de faire ? De son père, il ne me dit pas un mot. Évidemment il ne trouvait rien à dire pour exprimer des sentimens de tendresse et de confiance que le comte n’avait pas voulu ou pas su lui inspirer. Il ne put s’empêcher de rire en essayant de gravir le lit monumental qui l’attendait, et prétendit qu’il y avait

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