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FLAMARANDE.

communiquait avec les appartenons du donjon. Madame m’avait invité à m’y tenir aussi. J’avais préféré réinstaller dans le banc des Michelin, d’où je pouvais tout surveiller et me déplacer au besoin. Je cherchai des yeux M. de Salcède : il était auprès de la tombe du berger Gaston, confondu dans la foule, avec Ambroise. Espérance était plus près de nous, afin d’être plus près de Charlotte ; autour du cercueil, une demi-douzaine de vigoureux montagnards s’étaient offerts pour le descendre dans le caveau où reposaient les vieux Flamarande.

Mme la comtesse, vêtue de l’étamine des veuves, avait sur la tête un long et épais voile de crêpe noir qui ne permettait pas de soupçonner son visage. Elle était immobile comme une statue agenouillée, les regards la cherchaient en vain. Sous ces draperies, nul ne pouvait se faire une idée de son âge, de sa taille ou de ses traits. Je fus satisfait du soin qu’elle avait pris de n’être pas reconnue de Gaston ; l’incognito était irréprochable, absolu. Elle tenait ses promesses ; Gaston, très convenablement recueilli et indifférent à tout ce qui n’était pas sa fiancée, ne levait seulement pas la tête pour regarder les dames de la tribune.

Mais la destinée ! On me trouvera peut-être fataliste ; comment ne le serais-je pas un peu, moi qui ai toujours été vaincu dans ma lutte contre elle ? Tout marchait bien, lorsque le moment vint de descendre le cercueil dans le caveau. Je vis tout de suite que les porteurs n’étaient pas en nombre suffisant. Il en eût fallu dix, ils n’étaient que sept. Je le dis assez haut pour être entendu d’Ambroise, qui était encore malgré ses soixante-cinq ans un des plus forts du pays. Il fendit la presse et prit une des cordes. Espérance, qui était réputé le plus fort, obéit à un mouvement spontané d’obligeance et peut-être de sollicitude pour son vieux ami. Il prit l’autre bout du même câble. M. de Salcède s’approcha, veillant sur Espérance, mais s’abstenant de toucher au cercueil. Il fallait encore un homme. Je voulais me mettre à la tâche, Michelin me repoussa et s’y mit en disant à demi-voix aux autres : — Hardi, mes enfans, c’est lourd, un bon coup de collier !

Il y eut chez tout le monde un mouvement d’anxiété, et je vis que Mme de Flamarande se levait et écartait son voile sans y songer. Le caveau était peu profond, mais le poids était considérable, et les manœuvres à bras sont toujours dangereuses. Il se produisit alors un accident qui s’était produit aux funérailles du roi Louis XVIII à Saint-Denis, lorsque plusieurs gardes-du-corps avaient failli être écrasés sous le cercueil. Une des cordes, celle que tenait Ambroise, rompit. Ambroise alla tomber en arrière sur un groupe qui le soutint et le releva ; mais Gaston, entraîné en avant, tomba avec le