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de proche pavent ni de parens pauvres. Ma conscience, à moi, m’autorise à disposer de ce portefeuille qui représente la propriété de trois millions. Je doute que Roger en trouve autant dans la succession de son père. Qu’en pense monsieur Charles ?

— Je pense comme vous, monsieur le marquis.

— Est-ce le nom, reprit le marquis en s’adressant à la comtesse, que vous regardez comme un avantage social considérable ? Vous serez encore satisfaite de ce côté-là. Le mien…

— Assez, assez, dit la comtesse vivement. Votre nom est illustre, votre fortune est nette, votre parole est sacrée ; mais Gaston connaîtra-t-il les grands avantages que vous lui faites avant de s’engager dans ce mariage disproportionné ?

— Oui, madame, il les connaîtra ce soir. J’ai déjà, je vous l’ai dit, commencé les démarches judiciaires, c’est-à-dire établi devant la loi la liberté de mon action pour donner et celle d’Espérance pour recevoir. Je ne lui en ai pas encore parlé, ne pouvant le faire sans votre assentiment, et ne pouvant, sans le sien, légaliser ma position vis-à-vis de lui.

— Ah ! mon Dieu, reprit la comtesse, que va-t-il croire en recevant votre nom ?

— Il croira que, n’ayant pas d’enfans et ne comptant pas me marier, j’adopte celui que j’ai élevé et que je chéris paternellement. La vérité est— elle si difficile à croire ?

— Mais sa mère, sa mère ! que pensera-t-il de sa mère ?

— Ce qu’une âme telle que la sienne regarde comme une loi sacrée. Il la chérira sans la juger, et cela n’est pas difficile non plus à une âme pure.

Je me permis alors d’émettre mon idée, celle que j’avais soumise à la comtesse. En assignant à Espérance l’âge de vingt-trois ans, on écartait de lui l’idée d’adultère.

Le mot prononcé en présence du marquis fit rougir la comtesse, et je vis Salcède réprimer un léger frisson. — Vous avez raison, me dit-il, je lui dirai qu’il a vingt-trois ans. À présent, ajouta— t-il en s’adressant à Mme de Flamarande, êtes-vous rassurée ? Espérance va savoir dans une heure qu’il peut prétendre à une noble et riche héritière. Il choisira entre le rêve champêtre et le rêve doré.

— Mais s’il persiste à épouser Charlotte ?

— Ne préjugeons rien : nous n’avons pas le temps de nous livrer aux hypothèses. Quelle que soit la décision de notre cher enfant, j’obtiendrai facilement de son respect pour vous et de son amitié pour moi qu’il ajourne sa réponse au dilemme que je vais lui poser. Je ferai plus, je ne lui permettrai pas de me répondre avant qu’il ait pris huit jours de réflexion.