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Nos premières explorations ont naturellement pour but le Saint-Sépulcre, cœur et raison d’être de la Jérusalem chrétienne, qui se serre autour de la vieille église franque comme la ville musulmane autour de la mosquée d’Omar. Le vaste temple est resté, comme nos cathédrales du moyen âge, une maison commune où la vie religieuse et la vie profane ont leur place ; enserré par une triple enceinte de couvens, tantôt il les pénètre de ses chapelles ramifiées, tantôt il se laisse pénétrer par leurs sacristies, leurs cellules, leurs communs. Un système compliqué de couloirs, de dégagemens, d’escaliers, de portes, enchevêtre les habitations monacales à la maison de Dieu ; les chapelles creusées dans le roc, les chambres des custodes, les divans des gardiens turcs, les dépôts d’huile et de cierges, tout se coudoie dans ce monde de pierre, où Quasimodo aurait pu élever une famille ; on comprend les saints personnages qui ont passé vingt et trente années sans sortir de ces murs.

Entrons-y donc un peu au hasard, cherchant les scènes pittoresques, les contrastes douloureux ou touchans dont il est sans cesse le théâtre, les émotions intimes qu’on ne saurait traduire sans en méconnaître la profondeur. En franchissant le seuil du parvis, on se trouve dans le divan des portiers musulmans : triste et nécessaire vestibule de la maison chrétienne. La garde en est confiée à une famille chez qui cette charge est héréditaire ; trois ou quatre Turcs, de mine assez débonnaire et dont la grave indolence peut passer pour du respect, fument leurs tchibouqs, accroupis sur des nattes. On passe, et les premières figures qu’on rencontre annoncent la Babel chrétienne. Tous les types des races humaines se croisent ici, tous les costumes du globe s’y mêlent, toutes les langues y retentissent, tous les rites y déploient leurs cérémonies. Catholiques, Grecs, Arméniens, Coptes, Abyssins, ont leurs autels séparés ; les sanctuaires les plus vénérés sont communs à tous, mais chacun n’y peut officier qu’à son heure, rigoureusement déterminée par des règlemens anciens. La foule se presse surtout à la porte de l’édicule qui renferme le tombeau ; trois visiteurs seulement peuvent y tenir ensemble, fort gênés par le caloyer de garde, qui fait une grosse recette en vendant des cierges : ce remuant personnage tourmente sans relâche, pour les faire sortir, les pèlerins qui nuisent à son commerce en s’attardant dans une méditation trop prolongée. Une femme fellah attend son tour, assise sur les marches en allaitant son enfant ; un Albanais prend patience en mordant à belles dents dans son pain ; un Circassien prosterné sur le pavé le frappe bruyamment du front ; les cordeliers traînent leur robe de bure ; les papas orthodoxes s’agitent, nombreux, loquaces et affairés. Une même pensée sort de tous ces cœurs et de toutes