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de faim. Quand les soldats romains, qui allaient puiser l’eau aux piscines de Siloë, étonnés d’y voir des cadavres apportés par les sources mystérieuses, se décidèrent à fouiller les entrailles de la montagne, ils n’y trouvèrent plus que quelques agonisans parmi des milliers de squelettes. L’un de ces derniers survivans, le chef héroïque des défenseurs de la ville, Simon Bar-Gioras, essaya d’échapper à ses ennemis en les terrifiant par une apparition de fantôme. S’étant enveloppé de draperies blanches et revêtu d’un manteau de pourpre, il surgit brusquement par un des soupiraux des galeries, sur la plate-forme du Haram, aux yeux des Romains épouvantés. Ce spectre royal, sortant des cavernes salomoniennes et revenant errer dans les cendres du temple détruit, c’était tout ce qui restait de la nation de David.

C’est le bénéfice de cet étrange pays que la vie contemporaine y offre sans cesse l’éloquent commentaire de l’histoire passée, l’illustration des réflexions que cette histoire inspire. J’en ai eu un nouvel exemple aujourd’hui en allant voir les Juifs pleurer au mur du temple, curieux spectacle que Jérusalem réserve tous les vendredis à l’étranger. Une belle gravure de M. Bida l’a popularisé chez nous.

Le mur d’enceinte du Haram qui regarde vers l’ouest, à l’intérieur de la ville et proche du pont des Macchabées, s’est conservé jusqu’à une grande hauteur tel qu’il était aux époques reculées où Israël possédait en paix la ville de David : assises de blocs énormes, à refends et en retraite, d’aspect fruste et vénérable. C’est le débris monumental que la tradition fait remonter avec le plus de vraisemblance au roi Salomon. Un étroit couloir est ménagé entre ce mur et les masures modernes ; les Juifs, à qui l’entrée du parvis sacré est rigoureusement interdite, ont acheté des Turcs, moyennant finance, le droit d’y venir pleurer sur les ruines des monumens de leurs ancêtres. La tradition est vieille chez eux et date de la dispersion de Titus. Les Romains, les Perses, les croisés, les musulmans, ont tour à tour prélevé sur cette piété nationale un lourd tribut : les avares proscrits l’ont continué à ces maîtres successifs de leur patrimoine, estimant plus que leur or l’ineffable joie de toucher les vestiges de leur grand roi, la porte de l’enceinte paternelle d’où on les chasse. Saint Jérôme témoigne de l’antiquité de cette coutume dans une de ses lettres. « Vous y verrez ce peuple lugubre venir pleurer sur les ruines de son temple, » écrit-il. — C’est là qu’un philosophe devrait aller méditer sur la vitalité persistante des religions et la réprobation mystérieuse de la famille hébraïque. Au pied de la muraille géante, contre la première assise dont les têtes atteignent à peine le faîte, une foule compacte se