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Louis XIII. Sur le côté de la grotte qui regarde l’orient, une excavation, en forme de niche dans le rocher, marque la place même de l’enfantement, comme l’atteste cette fameuse étoile d’argent qui a fait un bruit si tragique dans la politique contemporaine, — une autre excavation au sud, la chapelle de la crèche, est le lieu assigné à l’adoration des mages. La grotte se continue par un corridor qui prend sur cette pièce principale, serpente dans le rocher, conduit à plusieurs chapelles consacrées par des traditions diverses, et revient déboucher par quelques marches dans le couvent latin.

La foule des fidèles emplit la petite église des franciscains, obstrue l’escalier et se prosterne pieusement dans la crypte, rayonnante de lumières. C’est un spectacle touchant de voir les Bethléémitaines et les vieux Arabes à barbe blanche se précipiter sur la crèche pour arriver à baiser les marbres de l’autel, l’étoile d’argent. Au moment où j’entre à grand’peine dans le sanctuaire, l’officiant lit cette leçon de l’Évangile : In prœsepio reclinaverunt eum… « Ils le couchèrent dans la crèche. » Frappé de cette coïncidence, pénétré de la solennité du lieu et du souvenir, gagné par la fièvre de ferveur qui s’exhale de tous ces cœurs et de toutes ces lèvres, on se sent envahi par l’émotion commune, on obéit doucement au magnétisme de cette adoration que tout persuade. C’est l’heure où s’épanche la source cachée de la prière, qui toujours filtre goutte à goutte dans quelque fond de l’âme, comme la lumière du ciel dans ce berceau de rocher. J’ai passé une partie de la nuit à errer dans les détours de la grotte, tantôt perdu dans la foule agenouillée devant la crèche, tantôt m’égarant dans les retraits déserts formés par les élargissemens du long boyau souterrain : ce sont des chapelles dédiées aux Innocens, à saint Jérôme, à sainte Paule. Personne ne vient troubler leur solitude : la musique et les chants des fidèles invisibles m’arrivent étouffés et mourans comme dans un couloir des catacombes. L’illusion est complète quand en remontant le corridor j’émerge subitement dans la clarté des lampes d’or et l’assemblée chrétienne. Tout au fond de la grotte, l’oratoire de saint Jérôme m’attire de préférence ; c’est là qu’il venait, suivant la tradition, prier et travailler, c’est là que son tombeau dort sous l’autel ; j’y vais à plusieurs reprises, cherchant si ce grand esprit n’y a pas laissé son secret de paix et de détachement.

Je remonte dans le cloître latin, où les bons franciscains assaisonnent le déjeuner hospitalier qu’ils m’offrent du récit animé de leurs dernières tribulations. Ce sont des moines italiens et espanols, aux têtes caractéristiques, dont la plupart m’ont été déjà présentés par Filippo Lippi ou Zurbaran. Un seul est Français ; le père Bernard