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ouvrage devenu presque classique, la Politique ecclésiastique, l’autre de plusieurs opuscules métaphysiques, où D. Stewart a cru apercevoir quelque anticipation de la philosophie de l’esprit humain. Le livre de la Politique ecclésiastique est encore admiré aujourd’hui pour la beauté et la sagesse des vues générales, pour la dignité solennelle et parfois magnifique du style. C’est un grand honneur pour ce livre que M. de Rémusat ait pu citer le nom de Montesquieu à l’occasion des premiers chapitres, et qu’il ait cru démêler dans quelques passages les premiers vestiges du principe de la perfectibilité humaine. Quant à Raleigh, l’intérêt de sa philosophie le cède de beaucoup à l’intérêt de sa vie, et il est à regretter que M. de Rémusat se soit privé de nous la raconter : il la résume en quelques traits. Raleigh a été signalé comme le premier libre penseur en Angleterre; M. de Rémusat ne croit pas que cette imputation soit justifiée par ses écrits. A coup sûr, s’il ne fut pas un libre penseur, dans le sens strict du mot, il a eu du goût pour la pensée libre, et, comme Bacon, il s’est porté avec ardeur vers les recherches naturelles. Il est de ces esprits cultivés, éclairés, avides de connaissances, que l’on peut appeler les précurseurs de la philosophie.

Tels sont les principaux prédécesseurs de Bacon. Quels en ont été les successeurs? M. de Rémusat les classe en trois groupes: ceux d’abord qui sont restés fidèles à la tradition de l’ancienne philosophie et qui semblent tenir Bacon pour non avenu, — ceux qui suivent sa voie et développent ses idées, enfin ceux qui, après avoir subi son influence, se sont séparés de lui soit pour marcher dans un autre sens, soit pour s’avancer plus en avant qu’il n’eût peut-être voulu. Nous n’insisterons pas sur les premiers, qui ne peuvent compter dans l’histoire de la philosophie que comme d’utiles modérateurs; mais parmi les seconds M. de Rémusat cite un nom tout à fait inconnu jusqu’ici parmi nous, et qui mérite de ne plus l’être : c’est le nom de Hakewill, qui doit désormais avoir sa place dans l’histoire d’une des idées les plus importantes du monde moderne, l’idée du progrès.

Un critique plein de talent, prématurément enlevé aux lettres il y a quelques années, Hippolyte Rigault, a essayé de faire, à l’occasion de la Querelle des anciens et des modernes, un historique de la question du progrès. Dans cet historique, rempli de recherches neuves et curieuses, il est remonté jusqu’aux deux Bacon, car l’un et l’autre, et le Bacon du moyen âge et celui du XVIe siècle, ont eu le sentiment net des progrès de l’humanité dans l’ordre de la science et dans le gouvernement de la nature; mais Bacon lui-même ne s’est pas exprimé sur cette question avec l’étendue et la décision de son disciple Hakewill. L’ouvrage de celui-ci a précisément pour thème la réfutation de ce lieu-commun de tous les temps, que les choses sont