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chaque fois, et si le vin en est absent, sauf dans quelques grandes occasions où l’on débouche volontiers une bouteille de Champagne, le thé, le café, le lait, y sont servis à discrétion. Au dessert, ces pâtisseries un peu lourdes, bourrées de fruits et dont les Américains sont si friands, ne manquent jamais. Le régime alimentaire est partout le même, et dans les fermes les plus isolées, dans les campemens des plus lointains territoires, on remarque la même façon de vivre. Tout le monde s’assoit fraternellement, démocratiquement à la même table, et tout le monde s’y conduit bien. les femmes le soir, principalement les jeunes filles, sont toujours misés avec quelque recherche. On voit bien vite que la différence des classes n’existe pas, et que, si l’on a conservé quelques traces de démarcation sociale dans les grandes villes des bords atlantiques, dans les fermes et même dans les villes de l’ouest ces traces ont complètement disparu.

Le village, l’école, ne sont pas loin de la ferme. Le dimanche, on se rend au service, au prêche, tous ensemble, en carriole. Pendant la semaine, les enfans sont envoyés à l’école ; nul n’y manque, et filles et garçons sont reçus dans le même local. Il nous est arrivé plus d’une fois, le long des chemins, de voir les jeunes boys porter galamment les livres de la jolie miss qui allait prendre sa leçon avec eux. Le boy est un peu gauche, un peu timide, si vous voulez ; il va s’asseoir sur le même banc que sa jeune compagne, mais lui garde invariablement le respect qu’on a pour une sœur.

Dans les beaux jours, des jeux d’adresse, de gymnastique, réunissent les amis, les voisins, en plein air, autour de la maison. Le cricket, dont on fait courir les boules sur le gazon uni en les lançant avec le maillet de bois, est là, comme ailleurs, en grande vogue. C’est le jeu préféré, et rien de plus gai que de voir les jeunes filles et les jeunes gens ici encore mêlés ensemble. Nous ne voulons pas dire qu’il n’y ait point par momens quelque abus, car les liaisons se forment librement, et la jeune fille, de bonne heure entièrement indépendante, est maîtresse de choisir l’amoureux, le fiancé qu’il lui plaît. Elle se promène, elle sort seule avec lui, personne ne veille sur ses actes, et elle est plus libre encore, si c’est possible, qu’à la ville. Néanmoins, en comparant les résultats de cette vie des champs à celle des grandes cités, on est forcé de donner la préférence à la première. C’est dans l’ouest, vigoureux et sain, que se retrempe la famille américaine, un peu entamée, affaiblie dans les grands centres, où se répandent des habitudes fâcheuses, signalées depuis quelque temps par les moralistes. Le nombre des enfans n’effraie pas le fermier ; il ne limite pas, comme le citadin, comme le banquier de New-York ou de Boston, le chiffre de sa descendance.