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contradiction entre deux hommes ayant coopéré au même instant à la même délibération. Autre fait : il y a une circonstance qui a passé toujours pour avérée, qui a été confirmée par le ministre de la guerre de 1870, M. le général de Palikao, c’est que la nouvelle de la catastrophe de Sedan n’est arrivée à Paris que dans l’après-midi du 3 septembre. Voici cependant M. le général Vinoy qui assure que le 1er septembre au soir il a envoyé de Mézières à Paris une dépêche annonçant la perte de la bataille, la blessure du maréchal de Mac-Mahon, la position critique de l’armée et de l’empereur lui-même, — et la dépêche a été reçue, puisqu’il y a une réponse du 1er septembre à cinq heures du soir. Que deviennent alors la déposition du général de Palikao et l’ignorance apparente du gouvernement, qui semble frappé d’un coup de foudre, qui perd la tête comme s’il ne s’était attendu à rien ?

Je prends l’exemple le plus illustre, le plus élevé. M. le maréchal de Mac-Mahon est appelé devant la commission d’enquête ; il répond avec la loyale et modeste simplicité d’un soldat qui a donné son sang pour la France. Il raconte tout, et notamment cette première bataille de Wissembourg, prélude de tant d’autres revers ; il dit que ce jour-là la division française du général Abel Douay comptait devant l’ennemi 8,500 hommes, que les Prussiens disposaient de 60,000 hommes, et il ajoute que, « si les rapports sont exacts, les pertes de l’ennemi se seraient élevées à un nombre plus fort que celui des combattans français. » C’était digne de M. le maréchal de Mac-Mahon de saisir noblement une occasion de rendre hommage à l’intrépidité de ses soldats, et il avait certes le droit de dire : « Je ne pense pas qu’à aucune époque une troupe d’infanterie ait combattu avec plus de vaillance. » Mais enfin, sauf l’héroïsme de ces vaillantes troupes, qui est la seule chose vraie, justement et dignement consacrée par ces virils hommages, le reste n’est plus de l’histoire, c’est la légende. Cette malheureuse division Douay engagée à Wissembourg n’avait point 8,500 hommes, elle en comptait à peine 5,000 ; les Prussiens n’engageaient pas 60,000 hommes, ils en avaient à peu près 25,000 au combat, contre 5,000 ! et les pertes essuyées par les Allemands, en restant des plus sérieuses, n’atteignaient pas les proportions fabuleuses qu’on leur a données comme pour se consoler de ce premier revers de nos armes. Ce que M. le maréchal de Mac-Mahon rapporte par une confusion assez explicable après deux années, c’est tout simplement le récit des journaux du temps, qui, à travers toute sorte de migrations, finit par se présenter à l’enquête avec l’effigie officielle du général en chef, et voilà comment l’influence de l’à-peu-près se fait sentir partout !

Qu’est-ce donc des témoignages moins autorisés, moins sérieux ?