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à-peu-près où se fait sentir la sévérité d’hommes qui « n’y étaient pas, » selon le mot du général Trochu. Je parle de Paris et de cette vie agitée qu’il est plus facile de travestir que de reproduire aujourd’hui. Le thème est tout trouvé : le gouvernement a payé la rançon de son origine, il a été réduit à vivre de concessions permanentes aux révolutionnaires qui l’avaient élevé au pouvoir. Il a tout livré aux agitateurs, il n’a pas su prévenir les désordre, et il n’a pas même osé réprimer, châtier, les fauteurs de la criminelle sédition du 31 octobre, il s’est fié à cette illusion de la « force morale » sans songer que la force morale n’est rien, si elle n’appelle pas la force matérielle à son aide. En un mot il a présidé, impuissant ou complice, à cette vaste anarchie dont les élémens discordans sont l’oisiveté soldée, les armes distribuées indistinctement, la population flattée dans ses « égaremens, » la licence de la presse et des clubs tolérée, les factions ménagées, la révolte en permanence et impunie. Le gouvernement, au lieu d’agir ainsi, aurait dû s’armer de fermeté, décourager les manifestations et les séditions, discipliner la garde nationale, fermer les clubs, supprimer les journaux, et pour mieux faire il devait dès le début laisser tous les pouvoirs à un gouverneur militaire, vrai commandant de place décidé à se servir de toutes les facultés de l’état de siège. C’est ce qui s’appelle toujours « raisonner à l’aise ! »

Oui, sans doute, il y a eu tout ce qu’on dit, et il y a eu aussi une ville en définitive moins troublée qu’on ne le dit, soumise à l’épreuve la plus extraordinaire, vivant pendant vingt semaines au bruit du canon, supportant toutes les misères sans faiblir. Le bien et le mal se mêlent dans l’immense, dans l’ardente fournaise, et l’enquête qui soulève tant de questions, qui dit si bien après trois ans ce qu’il aurait fallu faire ou ce qu’il aurait fallu éviter, l’enquête oublie de résoudre le double problème que voici : le siège d’une cité comme Paris peut-il être conduit comme le siège d’une forteresse ordinaire, de Toul ou de Phalsbourg ? Que pouvait d’un autre côté un gouvernement né de la veille, inexpérimenté, incohérent si l’on veut, dans une ville qui n’était pas seulement une place de guerre, qui était la capitale de la France, où s’agitaient toutes les passions, et où par surcroît les événemens venaient de désorganiser la police, l’administration, tous les moyens d’action et de surveillance ? Une chose est certaine, Paris a résisté pendant près de cinq mois : croit-on que cette politique de la « force morale, » qu’on accuse et qu’on raille, ait été étrangère à ce résultat qui a pourtant quelque valeur ? Cette politique, elle n’était même pas l’expression d’un choix bien libre ; elle procédait d’une pensée unique, dominante. Le gouvernement, — je parle surtout de son chef, — était pénétré de ce