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LE

FOU DE FIVE-FORKS


SCÈNES DE LA VIE CALIFORNIENNE.



Il vivait seul, non que le reste du camp eût condamné sa folie à l’isolement, mais par goût, je suppose, et ce goût s’était manifesté longtemps avant qu’on ne s’avisât qu’il eût le cerveau fêlé. Très taciturne, il ne parlait guère que pour se plaindre de sa mauvaise santé, quoiqu’il fût en apparence robuste et bien bâti. Ce fut à la poste que l’on s’aperçut d’abord du dérangement de ses facultés mentales. On ne connaissait que lui qui écrivît par chaque courrier, et ses lettres étaient toujours adressées à la même personne, une femme. Or les choses se passaient d’ordinaire tout autrement pour la correspondance de Five-Forks : beaucoup de lettres arrivaient, la plupart d’une écriture féminine, et elles étaient reçues avec indifférence. Quelques-uns les ouvraient sur-le-champ et sans dissimuler un sourire de fatuité, beaucoup d’autres ne déguisaient pas leur ennui en les parcourant du regard. Ces lettres commençaient souvent par « mon cher mari, » il y en avait qu’on ne réclamait pas ; mais qu’un homme écrivît régulièrement sans qu’on lui répondît jamais, c’était un fait unique qui bientôt fut connu de tous. En conséquence, lorsqu’une enveloppe portant le timbre du rebut arriva pour Cyrus Hawkins, tout le camp fut transporté de curiosité délirante. Comment le secret finit-il par percer ? Je l’ignore, cependant quelqu’un sut d’une manière ou d’une autre que cette enveloppe renfermait les propres lettres du fou, retournées sans qu’il en manquât une seule. Hawkins soupçonna peut-être que sa monomanie et l’humiliant résultat qu’elle avait eu étaient con-