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apparences de paix, l’Europe elle-même ne se sent pas à l’aise, parce qu’il y a des questions qui s’agitent ou qui commencent, et, entre toutes ces questions, la plus grave est sans doute celle qui passionne l’Allemagne. Sommes-nous destinés à revoir les guerres de religion ? Toujours est-il qu’une lutte religieuse des plus singulières, des plus violentes, est engagée au-delà du Rhin, que cette lutte ne fait que s’étendre et s’envenimer, et qu’en s’étendant elle finit par toucher à toutes les situations, soulevant les plus redoutables problèmes d’organisation religieuse ou même de diplomatie. M. de Bismarck s’est jeté dans cette mêlée en homme qui ne connaît pas d’obstacles, qui disait, il n’y a pas longtemps, que pour un bon Allemand les coups étaient des argumens. Il a commencé en 1871 par une loi répressive contre les prédications ecclésiastiques, il a continué par l’expulsion des jésuites. Entraîné par degrés, il a poursuivi son œuvre par les lois de mai 1873, par d’autres lois de 1874, qui touchent à l’organisation et aux droits de l’église.

Qu’est-il arrivé ? Les protestations ont commencé dès que la politique de Berlin s’est engagée dans cette voie, la résistance s’est organisée ; M. de Bismarck a répondu par des rigueurs qui n’ont eu d’autre résultat que d’émouvoir les populations catholiques, d’affermir les prélats ou les prêtres condamnés et emprisonnés dans leur résistance. Aujourd’hui c’est le pape lui-même qui intervient, qui par une bulle du 5 février a déclaré nulles et non avenues les lois faites dans ces dernières années à Berlin contre l’église ; non-seulement le pape a frappé de nullité des lois de l’état, mais encore dans un consistoire récent, comme pour donner une forme vivante à ses protestations, il a élevé au cardinalat l’archevêque de Posen, Mgr Ledochowski, qui est encore aujourd’hui retenu par la Prusse dans les prisons d’Ostrowo. L’acte pontifical du 5 février est certainement grave pour les catholiques d’Allemagne et pour les évêques, peut-être un peu embarrassés d’une encyclique dont la publication devient dangereuse. M. de Bismarck, irrite, vient de soumettre au parlement et de faire voter par la chambre des députés une loi supprimant les dotations ecclésiastiques dans le budget de l’état, transférant aux communes l’administration des biens de l’église catholique. Le chancelier ne se fait peut-être pas trop illusion sur l’efficacité de ces mesures ; aussi annonce-t-on déjà à Berlin des lois nouvelles pour interdire les collectes par lesquelles l’église, atteinte dans ses ressources, pourrait être amplement compensée. Ainsi se déroulent ces luttes où les résistances et les rigueurs s’enchaînent sans qu’on sache bien au juste où l’on va. C’est une véritable guerre religieuse s’étendant à tout, enflammant les passions et ouvrant au cœur de l’Allemagne un foyer incandescent.

Un jour de l’autre semaine, au courant de la discussion sur la suppression des dotations ecclésiastiques, une scène curieuse s’est passée dans le parlement de Berlin. Un député catholique a lu tout haut, en