Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/706

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Paris, c’est à l’agitation fiévreuse des Halles centrales que M. Zola, — avec quelle débauche et quelle crudité de couleurs ! — a voulu rattacher l’histoire de ses personnages. Le commerce et l’industrie sont de belles et grandes choses certainement ; donneront-elles jamais aux parties vraiment nobles et souveraines de l’intelligence la satisfaction qu’elles promettent à nos appétits de bien-être, et deviendront-elles, même dans un lointain avenir, une source d’inspiration bien féconde pour la poésie ? C’est aussi ce qu’on peut se demander de la science, dont il semble d’ailleurs que nos romanciers parlent trop souvent sans la connaître. « Je me propose, dit M. Zola, de suivre, en résolvant la double question des tempéramens et des milieux, le fil mathématique qui conduit d’un homme à un autre homme. L’hérédité a ses lois comme la pesanteur. » Voilà qui va fort bien, mais la science démontre les lois de la pesanteur, elle en est encore à chercher celles de l’hérédité. Je sais que M. Malot n’en dira pas avec moins d’assurance que « ce sont là des règles physiologiques que la science a formulées en se basant sur l’expérience, » et nous aurions mauvaise grâce à ne pas avouer qu’il en a fait d’ailleurs le plus heureux usage et le plus inattendu. Qu’un père doute de sa paternité, ce n’est plus comme dans un temps bien lointain « la voix du sang » qui le tirera d’inquiétude, ce sera l’atavisme. « Quand le marquis eut trouvé que l’atavisme le faisait le père de Denise, il éprouva un profond soulagement. » Et quel cas d’atavisme ! Au moins conviendrait-il qu’on se donnât la peine d’étudier les choses dont on veut parler, et que, quand par exemple on écrit tout un roman sur la folie, comme le Mari de Charlotte, on ne réunît pas dans un même personnage tous les symptômes que la science n’a jamais rencontrés qu’isolés.

Après tout, il faut bien le dire, les romanciers ne sont peut-être pas ici les seuls coupables ; on leur a tant répété que le Système du monde de Laplace et le Cosmos de Humboldt ouvraient à l’imagination poétique une carrière autrement large que le monde d’Homère ou la création de la Genèse, qu’il n’est pas étonnant qu’ils aient fini par le croire, comme si cependant l’art et la science n’étaient pas dans l’histoire l’éternelle et vivante contradiction l’un de l’autre, la science pliant la liberté de l’esprit humain au joug des lois de la nature et s’imposant comme d’autorité, l’art au contraire échappant à la contrainte de ces lois et rendant à l’intelligence la pleine possession d’elle-même ; mais quoi ? c’est la critique elle-même qui pousse l’art dans cette voie funeste, et par système plus encore que par complaisance ? Est-il bien étonnant que les romanciers du jour nous fatiguent de leurs descriptions techniques et de leurs détails spéciaux quand ils entendent louer Balzac d’avoir si bien embrouillé telle intrigue dans Une ténébreuse Affaire ou dans César Birotteau par exemple, qu’il faille être pour la suivre magistrat ou juge de commerce ? On peut croire que ni M. Zola ni M. Malo