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phrases. On pourrait leur répondre qu’un bon mot n’est pas nécessairement un mot léger, que c’est quelquefois, comme on l’a dit, l’aiguille qui fait passer le fil. Il est plus difficile de défendre contre leurs justes sévérités les faiseurs de phrases. Nous avons sujet de leur en vouloir, les phrases nous ont perdus, et plût au ciel que les lois constitutionnelles renfermassent un article qui les prohibât à jamais, et que cet article pût être mis à exécution ! mais il atteindrait bien des gens qui ne sont pas conférenciers, il frapperait même plus d’un homme d’état, et les phrases les plus dangereuses sont celles que font les hommes d’état ; les autres ne conduisent pas à Sedan. Il faut que les savans se résignent à ce qu’ils ne peuvent empêcher. Quels que soient les inconvéniens de ce qu’ils appellent dédaigneusement la vulgarisation et les vulgarisateurs, nous vivons dans un temps de démocratie où la science elle-même, cette hautaine et prude divinité, doit, au risque de déroger un peu, quêter, elle aussi, la faveur populaire. Si elle s’obstinait à se confiner dans l’ombra des universités et des laboratoires, on se demanderait à quoi elle sert, et on ne respecte plus que ce qui est utile. Les conférenciers sont ses interprètes, ses ambassadeurs auprès des foules, et ce métier nous paraît, lorsqu’il est bien fait, aussi honorable qu’utile. Puisque le peuple règne, il est heureux que des hommes de bonne volonté se chargent de faire l’éducation du nouveau souverain, de lui dégrossir l’esprit, de lui ouvrir des jours sur le monde, de lui donner, pour employer un mot de Molière, « des clartés de tout. »

C’est ainsi que l’un des conférenciers les plus courus de ce temps, M. Ernest Legouvé, entend les devoirs de son état. Il adresse d’ordinaire ses discours et ses enseignemens non aux raffinés, aux chercheurs, à cette race de curieux qui veulent connaître le fond des questions, mais aux intelligences communes, médiocrement ambitieuses, et il entreprend de leur inoculer le goût des choses relevées et des choses délicates. Il n’a pas seulement les vertus de son métier, il possède toutes les qualités convenables pour le bien faire, une parole facile, abondante, limpide, de l’émotion quand il en faut, de la belle humeur, de la gaîté, le talent de conter une anecdote, le talent aussi d’aiguiser dans l’occasion et de décocher une épigramme. Ces dons heureux sont mis par lui au service d’idées honnêtes, généreuses ; il est un de ces amuseurs qui instruisent et même qui édifient. Il y a deux hommes dans M. Legouvé, un moraliste et un auteur dramatique, lesquels savent l’un et l’autre intéresser leur public. Le moraliste aime à nous entretenir de tous les problèmes qui touchent à l’éducation ; il aime davantage encore à plaider la grande cause de la réhabilitation sociale des femmes, à revendiquer pour elles le droit à l’instruction, le droit au travail, le droit aux emplois rétribués, par-dessus tout le droit au respect. L’auteur dramatique se complaît à nous initier aux mystères d’un art qu’il a