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REVUE DES DEUX MONDES.

— Ah ! tu as ces préjugés-là, toi que je croyais philosophe ?

— Je n’ai pas de préjugés, mais je subis la loi que nous font les préjugés des autres.

— Fort bien, mais si, en dehors de l’égalité d’éducation et d’honneur, la seule qui soit vraie, il y avait encore entre nous l’égalité de naissance et de fortune ?

— C’est possible, répondit Espérance, puisque je suis un enfant du mystère ; mais vous n’en savez rien, ni moi non plus. Vous me supposez gratuitement issu d’une grande famille, ce n’est pas probable, ma mère est une paysanne, et je ne sais rien de mon père.

— Ta mère est une paysanne ? Allons donc ! Tu ne la connais donc pas ?

— Pardonnez-moi ; je l’ai vue souvent.

— Et elle se nomme…

— Elle se nomme ma mère. Je ne lui connais pas d’autre nom.

— Et… où demeure-t-elle ?

— Je ne le sais pas non plus.

— Tu ne le lui as pas demandé…

— Je n’ai jamais voulu rien savoir.

Roger réfléchit un instant. — Une paysanne, dit-il ; on peut s’habiller en paysanne ! Sais-tu si ton père est vivant ?

— Je l’ignore.

— N’as-tu vraiment aucune idée que nous pourrions être… parens ?

— Non. Je n’en ai aucune idée, répondit Espérance d’un ton ferme, et je ne le crois pas.

— Et si je le croyais, moi ?

— Vous ne pourriez pas le prouver.

— Qui sait ? si tu m’aidais un peu… Consulte tes souvenirs. Est-ce que tu ne te souviens pas d’avoir eu une nourrice qui s’appelait…

— Oh ! je ne l’ai jamais su, je n’ai pas le moindre souvenir d’elle !

— Qui t’a amené ici ?

— Je ne m’en doute seulement pas, puisque personne n’a jamais pu me le dire.

— On m’a dit à moi que c’était quelqu’un que tu connais bien, M. Charles !

— Ah ? on ne me l’a jamais dit.

— Appelle-le, nous allons le questionner.

— Non, dit Espérance avec énergie, je ne veux pas !

— Pourquoi ?

— Je ne veux rien savoir de moi ; je vous l’ai dit, ma naissance est le secret de ma mère, je défends qu’on y touche !