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FLAMARANDE.

Roger d’avoir à les combattre. Je lui ai dit votre intention d’adopter Espérance, et là-dessus, sans aucune insinuation de ma part, je le jure, il est entré dans un véritable accès de rage. Il a menacé ma vie, il m’a jeté hors de chez lui, où il s’est enfermé et où, j’en suis sûr, il est encore en ce moment, dévoré par les furies.

Comme il me voyait très affecté, M. de Salcède me gronda avec douceur. — Je ne doute pas de la bonté de vos intentions, me dit-il, mais c’est en effet une grave imprudence que vous avez commise ! Du moment où Roger connaît son frère et veut le reconnaître, il ne devait plus être question de mon projet d’adoption, et ceci devait rester un secret entre nous.

— Pourtant, repris-je, ne fallait-il pas à tout prix arrêter la précipitation de Roger ?

— À tout prix ? non, d’autant plus que vous n’empêcherez rien. Si Roger, comme il est probable, parle demain à sa mère, elle se gardera bien de lui parler de moi, elle acceptera avec transport l’élan de son cœur.

— Il n’est que minuit, monsieur le marquis. En peu d’instans, nous pouvons être en présence de Mme la comtesse. Je m’accuserai, je lui dirai ma faute, et vous, vous en trouverez le remède.

— Le remède ? il n’y en a pas.

— Comment, il n’y en a pas ?

— Non. Roger souffrira du trouble que vous avez jeté dans son esprit. Il en souffrira plus ou moins longtemps, mais maintenant sa mère l’aggraverait au lieu de le dissiper, si elle consentait à me laisser adopter Gaston. Il n’y a plus qu’une chose à faire, c’est qu’au cas où Roger lui répéterait vos paroles, elle réponde que vous vous êtes trompé sur ses intentions. S’il ne lui parle pas de vous, je suis bien certain qu’elle ne lui parlera pas du tout de moi. On peut la prévenir pour lui épargner le malaise de la surprise. Chargez-vous de ce soin. Je vais lui écrire. Tâchez de la voir avant Roger. Il n’y a pas autre chose à prévoir. L’avenir est dans les mains de Dieu.

La résignation passive de M. de Salcède, que j’avais jugé si scrupuleux et si loyal, me confondit de surprise. — Ainsi, lui dis-je avec beaucoup d’émotion, monsieur le marquis abandonne la partie, il sacrifie Roger, il lui laisse porter la peine des malheurs et des fautes de sa famille ?

— Il est trop gentilhomme et trop honnête homme pour s’en plaindre, répondit M. de Salcède. Il n’entendra jamais accuser son père, ni par sa mère, ni par Gaston, et, comme ce que lui a dit Ferras est la stricte vérité, il n’aura pas de peine à la maintenir visà-vis des autres, s’il rencontrait quelque contradiction de leur part ; vis-à-vis de lui-même, s’il lui arrivait d’avoir encore à combattre plus ou moins quelque mauvais sentiment.