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touage par chaîne noyée, s’est établi sur les cours d’eau dont le trafic est le plus actif. Cela consiste, on le sait, en une chaîne à maillons de fer étendue tout le long de la rivière et sur laquelle se hale le bateau toueur, pourvu d’une machine, traînant derrière lui tout un convoi de bateaux. C’est encore bien imparfait. Aux États-Unis, où la batellerie du canal Erié est aussi florissante que les compagnies des chemins de fer parallèles, on a promis un prix de 100,000 francs à l’inventeur d’un meilleur moteur mécanique, tant il est avéré que c’est là une question vitale pour la navigation intérieure.

En France, la batellerie est restée, sauf quelques exceptions, une industrie locale, abandonnée aux hasards de l’initiative individuelle et aux négligences de la routine. Si de grandes entreprises de transport se sont organisées sur les principales artères, comme de Paris à Rouen ou de Paris à Lyon, sur toutes les rivières et sur tous les canaux subsistent des mariniers voyageant à leur compte, se faisant payer cher ou travaillant à prix réduit, suivant que le commerce est actif ou endormi. Comment de puissantes compagnies auraient-elles porté leurs capitaux de ce côté ? Sur les rails, une tonne de marchandises placée sur essieux va, sans rompre charge, de Dunkerque à Marseille, de Strasbourg à Nantes : la durée du voyage est fixée par des règlemens, tandis que la batellerie, outre qu’elle ne peut franchir les grandes distances, est arrêtée par les glaces, par les crues aussi bien que par les sécheresses. Tel bateau qui remonte la Seine jusqu’à Montereau ne peut franchir les écluses trop étroites du canal de Bourgogne ; tel autre, chargé au départ de Paris avec un enfoncement de 1 m,50, risque d’échouer sur les hauts-fonds de la Saône, où la profondeur de l’eau ne dépasse pas 1m, 20 ; puis les quais n’ont ni halles couvertes, ni grues de chargement, ni ces engins multiples dont les gares de chemins de fer sont pourvues. Bien plus, la voie de transport est elle-même interrompue la moitié du temps en certaines directions, ainsi d’Orléans à Angers, en sorte que le trafic de Nantes en Allemagne n’a pas même à choisir entre le chemin de fer et les canaux.

Malgré les conditions défavorables qui lui sont faites, la batellerie lutte encore avec succès contre les chemins de fer, puisqu’elle transporte 2 milliards de tonnes kilométriques[1], ce qui fait le quart à peu près des gros transports qui s’opèrent en France dans une année. Tels sont du moins les chiffres que donne M. Krantz pour l’année 1868. Ceci n’a rien qui étonne, étant connu que les

  1. Pour obtenir des statistiques comparables, on multiplie le poids de chaque chargement par la distance qu’il parcourt ; le résultat de ce calcul est ce qu’on appelle des tonnes kilométriques.